SOCIETE FRANCO-ALGERIENNE DE PSYCHIATRIE |
Souffrances et m�moires Djaza�r 2003 (suite de la revue de presse) Les traumatismes li�s � la guerre d'Alg�rie sont tr�s peu connus. Pourtant, quarante ans plus tard, ils existent toujours et hantent des centaines de milliers de personnes, des deux c�t�s de la M�diterran�e. Pour sensibiliser les psychiatres des deux rives, Paris accueille, les 3 et 4 octobre, un congr�s qui leur est consacr� dans le cadre de Djaza�r, une Ann�e de l'Alg�rie en France.
� C'�tait comme si on avait ouvert des vannes pour laisser couler la boue, toute la fange d'un pass� qui s'av�re soudain tr�s proche et encore sensible. Comme si en passant le doigt ou en palpant une cicatrice ancienne dont les bords s'�taient referm�s, croyait-on, on sentait un l�ger suintement, qui se transforme peu � peu en une purulence qui finit par s'�couler de plus en plus abondamment, sans qu'on puisse l'arr�ter �, �crit l'Alg�rienne Ma�ssa Bey dans l'un de ses derniers livres, Entendez-vous dans les montagnes... Voil� ce qui se passe lorsque la m�moire remonte � la surface� Aux prises avec ses souvenirs familiaux, l'auteur fait ressurgir, entre les lignes, le spectre de la guerre d'Alg�rie (1954-1962). Ma�ssa Bey n'est pas la seule � se d�battre avec ces d�mons. Des centaines de personnes, de chaque c�t� de la M�diterran�e, souffrent d'�tats post-traumatiques li�s � la guerre d'Alg�rie. � Pourtant, il y a un silence total, absolu autour de ce probl�me. Alors qu'en tant que psychiatres, nous sommes inond�s par les �tudes de traumas li�s � la guerre du Vietnam ou � celle, plus proche, du Kosovo, il n'y a que deux-trois travaux isol�s qui relatent les traumatismes dus � la guerre d'Alg�rie �, explique Mohammed Taleb de l'H�pital Ren� Dubos � Pontoise (France). 40 ans apr�s la � sale guerre � Les raisons de ce silence ? � En Alg�rie, la guerre est trait�e de fa�on restreinte, partisane. C'est une guerre glorieuse qui a men� � l'ind�pendance. Il est mal vu d'�voquer les souffrances auxquelles ont d� faire face les Alg�riens. L'autre raison principale, c'est la sous-m�dicalisation. Il y a eu peu de psychiatres apr�s-guerre et aujourd'hui, ils sont tous tr�s jeunes. Leur doyen a �t� dipl�m� � la fin des ann�es 70 ! Ils n'ont donc pas exerc� pendant la guerre et se concentrent aujourd'hui sur les traumas plus r�cents et la violence des ann�es 90. Enfin, il y a des raisons �conomiques : reconna�tre l'existence de troubles psychologiques, c'est reconna�tre la n�cessit� d'une r�paration financi�re �, explique le psychiatre. C�t� fran�ais, au-del� du m�me argument �conomique, c'est la culpabilit� qui domine. Les anciens appel�s ont du mal � parler de cette � sale guerre � o� ex�cutions sommaires, rafles, tortures ou viols faisaient partie de l'arsenal de combat. Sur plus de 2 millions d'appel�s, 350 000 anciens d'Alg�rie souffriraient de troubles psychiques li�s � la guerre. Une estimation r�alis�e en 2000 et qui repose sur un parall�le avec des �tudes am�ricaines sur la guerre du Vietnam. Cit�e par Le Monde � l'�poque, elle r�v�le qu'� un v�t�ran sur quatre revit, quarante ans apr�s, les exactions vues, subies ou commises �. � C'est sans compter les civils, les rapatri�s, les �migr�s, des centaines de milliers de personnes �, pr�cise Mohammed Taleb. C'est sans compter aussi sur la transmission g�n�rationnelle, dont Ma�ssa Bey est un exemple, exorcisant par l'�criture la torture et l'assassinat de son p�re. Mais tous n'arrivent pas � d�voiler leur histoire ou � mettre des mots sur leurs maux. Cauchemars r�currents Afin de sensibiliser les psychiatres alg�riens et fran�ais et d�montrer que les traumas existant pendant la guerre sont encore l�, Mohammed Taleb, pr�sident de la Soci�t� franco-alg�rienne de psychiatrie est � l'origine du premier congr�s de psychiatrie qui leur est consacr�. Les 3 et 4 octobre, dans le cadre de Djaza�r, une Ann�e de l'Alg�rie en France, l'Auditorium de l'H�pital europ�en Georges-Pompidou � Paris accueille plus de 300 psychiatres, dont une cinquantaine exercent en Alg�rie. � Nous n'�voquerons pas la m�moire historique mais la m�moire traumatique : une m�moire qui souffre, une souffrance se traduisant par de l'anxi�t�, des d�pressions� Nous nous demanderons ce que sont devenus ces troubles 40 ans apr�s et pourquoi personne (les patients comme les psychiatres) n'en parle. � Au-del� de l'approche clinique, le congr�s abordera la m�moire sociale et collective, en compagnie d'historiens, de sociologues, d'�crivains et de chercheurs. � La m�moire traumatique est extr�mement complexe. Les v�t�rans vont bien en apparence mais 20 ou 30 ans plus tard, � la faveur d'un �v�nement marquant, d'un d�c�s ou du visionnage d'un film, les ph�nom�nes ressurgissent. Ils sont capables d'�voquer leur pass� avec une pr�cision d�routante, leur m�moire visuelle, olfactive et sonore est intacte� J'ai souvent affaire � ce genre de traumas m�me si les gens n'en parlent pas spontan�ment, g�n�s par la culpabilit�, la pudeur, la honte. J'ai entendu des r�cits terribles. Ces personnes ont v�cu leurs souffrances dans le silence le plus intime, c'est encore plus affreux. Elles font des cauchemars r�currents, sursautent au moindre bruit, c'est obs�dant �, r�sume Mohammed Taleb. V�t�rans traumatis�s � Tous les v�t�rans que j'ai rencontr�s, et qui avaient � l'�poque �t� reconnus aptes � supporter la guerre lors d'une visite d'incorporation, en sont rest�s marqu�s, traumatis�s. Depuis leur retour, ils ont toujours souffert, mais ils ne savent pas qu'ils souffraient de l�-bas. Le jour, ils arrivent � oublier, mais la nuit, dans les r�ves traumatiques, tout revient. Compar�e au moment du traumatisme, la situation du r�ve a ceci de diff�rent que le traumatis�, lors de cet �v�nement, n'est pas seul. Mais lors des cauchemars et des r�ves traumatiques, apr�s la reproduction de l'image, de l'action, il est seul et se sent seul responsable �, rench�rit Marie-Odile Godard, ma�tre de conf�rences � l'Universit� de Picardie-Jules Verne. L'objectif du congr�s est de lancer enfin des �tudes �pid�miologiques et de pr�valence pour cerner l'ampleur du ph�nom�ne. � Nous sommes persuad�s que ce sont des troubles beaucoup plus fr�quents qu'on ne le pense mais cela reste � d�montrer �, pr�cise Mohammed Taleb. Pour que les anciens combattants des deux rives surmontent leurs traumatismes, le site Internet de la F�d�ration nationale des anciens combattants Alg�rie-Maroc-Tunisie r�sume bien l'�quation : � les chemins de l'avenir doivent emprunter ceux de la m�moire �. Olivia Marsaud L'"agonie psychique" des anciens d'Alg�rie LE MONDE | 07.10.03
Des praticiens fran�ais et alg�riens se sont r�unis � Paris pour un colloque. Quarante ans apr�s, ils se r�veillent r�guli�rement en sursaut. Dans leurs cauchemars, ils revoient la t�te d'un copain appel� qui explose, entendent le cri du fellagha qu'ils ont fait taire, sentent une odeur de corps br�l�s... Un quart du million et demi de Fran�ais envoy�s en Alg�rie entre 1954 et 1962 ont souffert, � un moment de leur vie, de troubles psychiques li�s � leur exp�rience de cette guerre (Le Monde du 28 d�cembre 2000). Aujourd'hui sexag�naires, la plupart ont appris � vivre avec ce pass� souvent ignor� de leurs proches. Mais certains n'ont jamais remont� la pente : leurs sautes d'humeur, leurs phobies ont rendu la vie insupportable � leur entourage, pr�cipitant les ruptures, l'isolement, voire la d�gringolade sociale. "Beaucoup de SDF ont subi un traumatisme majeur � l'arm�e", a remarqu� le neuropsychiatre Serge Bornstein lors du colloque organis� vendredi 3 et samedi 4 octobre � Paris sur le th�me "Souffrances et m�moires". En choisissant ce sujet pour sa premi�re manifestation, la Soci�t� franco-alg�rienne de psychiatrie (SFAP), cr��e en 2002, est all�e droit au but : d�noncer le d�ni de cette souffrance qui pr�vaut en France comme en Alg�rie et p�se sur les individus mais aussi sur les soci�t�s : racisme anti-maghr�bin de ce c�t� de la M�diterran�e, syndrome de violence sur l'autre rive. Plusieurs intervenants ont analys� l'actuelle guerre civile alg�rienne comme une r�p�tition du cauchemar v�cu voici pr�s d'un demi-si�cle, manifestation d'une n�vrose collective li�e � la perp�tuation, par le r�gime d'Alger, d'un r�cit h�ro�que falsifi� de ce conflit qui fut aussi une guerre civile. Or, a soulign� la psychanalyste Alice Cherki, la gu�rison suppose de "transformer la souffrance individuelle en une m�moire partageable par tous". R�TICENTS � SE SOIGNER La SFAP a �t� cr��e par des psychiatres fran�ais et alg�riens, ces derniers s'�tant r�fugi�s en France pour �chapper aux violences des ann�es 1990. Praticiens dans les h�pitaux, ils constatent chez leurs patients le poids des traumatismes de guerre. Pour leurs coll�gues demeur�s en Alg�rie, ce type de troubles s'observe non seulement chez les anciens moudjahidines de la "guerre de lib�ration", mais aussi parmi la population. La souffrance psychique des anciens s'est heurt�e au mur d'une histoire officielle uniquement glorieuse. "Aucune �valuation de cette immense cohorte de cas cliniques n'a �t� entreprise", a d�plor� Nac�ra Moussi, psychiatre � l'h�pital Boucebci d'Alger, en constatant, exemples � l'appui, "l'agonie psychique d'une grande partie des survivants"qui, � travers leurs enfants, vivent la r�p�tition des violences et le naufrage de leurs id�aux de jeunesse. "Le colonialisme, puis la confiscation des id�aux d�mocratiques se sont superpos�s pour int�grer la peur et l'anxi�t� dans le tableau clinique de la soci�t� alg�rienne", a rench�ri Tahar Absi, professeur de psychologie � Alger. En France, le r�cent retour de m�moire d�clench� par les confessions du g�n�ral Aussaresses sur la torture a quelque peu d�verrouill� la parole des anciens appel�s. Devant le congr�s, plusieurs t�moignages ont montr� que les harkis, les pieds-noirs et leurs descendants comptent aussi des traumatis�s. Mais la plupart des malades sont r�ticents � l'id�e de se soigner. Longtemps, rien ne les y a incit�s : ni le refus des autorit�s fran�aises, jusqu'� une loi de 1999, de reconna�tre la r�alit� de la guerre d'Alg�rie, ni le syst�me des pensions militaires, qui excluait les pr�judices psychiques jusqu'en 1992. Et la situation �volue peu. Apr�s avoir interrog� des membres de l'Association r�publicaine des anciens combattants (ARAC) relevant de "n�vrose traumatique", Marie-Odile Godard, psychanalyste et auteur de R�ves et traumatismes ou la longue nuit des rescap�s (Editions Eres), a d�crit le "fond d'horreur" commun � ces anciens soldats. "Certains continuent de dormir avec une arme � port�e de la main, d'autres ont peur lorsqu'ils croisent un Arabe dans le m�tro", a-t-elle t�moign� en soulignant la r�ticence des tribunaux sp�cialis�s � accorder des pensions, et l'appel syst�matiquement interjet� par le secr�tariat d'Etat aux anciens combattants contre les d�cisions favorables. Comme elle, Mohamed Taleb, pr�sident de la SFAP, milite pour le lancement d'une �tude �pid�miologique et pour l'acc�s � des consultations gratuites, � l'image des Vet Centers ouverts aux Etats-Unis pour les "v�t�rans" du Vietnam. Mais un rapport remis fin 2002 se prononce contre une telle perspective. Ses auteurs jugent que de tels centres risqueraient d'entretenir le ressentiment des anciens appel�s � l'encontre de l'Etat. Philippe Bernard
Psychiatrie
et traumatismes li�s � la guerre d�Alg�rie / Pour lever la chape de silence Pour la
premi�re fois, des psychiatres fran�ais et alg�riens se sont retrouv�s autour
d�un congr�s enti�rement consacr� aux ��tats post-traumatiques li�s � la guerre
d�Alg�rie et aux ph�nom�nes complexes de la m�moire post-traumatique�. Auxquels
se sont joints des historiens, des anthropologues, des sociologues, des
�crivains pour traiter des liens qu�entretiennent m�moire traumatique
individuelle, collective et m�moire historique. Pourquoi ce silence 40 ans
durant ? La question est revenue � maintes reprises. Des m�moires sont marqu�es
� vie par cette guerre meurtri�re qui a caus� des traumatismes psychiques
importants. En France, les psychiatres, comme le reste de la soci�t�, ont subi
la chape de silence, les patients eux-m�mes se taisaient, a-t-il �t� relev�. En
Alg�rie, le probl�me n��tait pas davantage abord�. Pour des raisons
diff�rentes. Des t�moignages comme ceux, tr�s �mouvants, de Ma�ssa Bey, dont le
p�re a �t� assassin� par l�OAS, ou de Zahia Rahmani, fille de harki. ont montr�
combien les souffrances sont profondes et ont marqu� des vies enti�res, des
hommes, des femmes, mais aussi leurs enfants. Des communications d�historiens,
de psychiatres, de psychologues� �C�est souvent, au d�tour d�une consultation
pour d�autres troubles, que l�on d�couvre un traumatisme li� � la guerre
d�Alg�rie�, a-t-il �t� soulign�. �Ce premier congr�s franco-alg�rien devra
tenter d�expliquer ce refoulement collectif et d�analyser sereinement les
d�terminants des cons�quences psychotraumatiques de ces �v�nements qui mirent
tant de temps � se reconna�tre pour ce qu�ils furent�, souligne le professeur
Fr�d�ric Rouillon, un des trois pr�sidents, avec les professeurs Henri L�o et
Kacha, de ce congr�s. Des questionnements. �Peut-�tre que la honte �prouv�e
montre qu�on n��tait pas fiers de ce qu�on avait fait en Alg�rie et qu�on avait
conscience que c��tait mal. Cela a peut-�tre permis aux Fran�ais de ne pas
s�engager dans de nouvelles erreurs. Quand on a beaucoup dit, comme l�on fait
les Am�ricains � propos de la guerre du Vietnam, on se sent d�douan� et on peut
recommencer�, avance le professeur Rouillon� Mohamed Bedjaoui, pr�sident du
Conseil constitutionnel, a soulign� qu� �� quelques exceptions pr�s, l�Alg�rie,
sortie de sa guerre de Lib�ration nationale, n�a pas �t� une consommatrice
goulue d�exhumations de corps, de proc�s retentissants, de plaques
comm�moratives ou de c�r�monies incantatoires. Le devoir de tourner vite, tr�s
vite, la page, pour ne pas d�structurer notre �tre, compromettre notre politique
de coop�ration et notre vision majeure d�un avenir confiant entre nos deux
peuples, a pes� plus fort que la recherche de retomb�es politiques douteuses
escompt�es d�un �talage de traumatismes qui nous fait encore mal. En ma qualit�
de ministre de la Justice des d�buts de l�ind�pendance, il m�est arriv�, au
moins par deux fois de recevoir l�annonce par tel procureur g�n�ral de la
d�couverte � l�int�rieur du pays de grands charniers imputables aux troupes
coloniales d�apr�s les t�moignages des survivants et les preuves recueillies par
ailleurs� J�ai veill� � ce que la discr�tion la plus �tanche f�t observ�e pour
�viter d�accro�tre la douleur et la haine. Et pourtant, nous savons tous que la
victime [ne retrouve le respect d�elle-m�me (que)] lorsque la justice met un nom
sur sa souffrance et punit son bourreau.� �Cette Ann�e de l�Alg�rie a permis que
des questions s�ouvrent� S�interroger sur le pass� pour se projeter dans
l�avenir. Il faut que les id�es circulent�, intervient une participante.
FARID
KACHA. Professeur en psychiatrie / �Ne pas confondre histoire et m�moire� C�est un premier congr�s, il a permis un peu � des Fran�ais qui n�ont pas pu exprimer leurs souffrances de la guerre d�Alg�rie de le faire d�une mani�re scientifique ou un peu �motionnelle et affective. Cela nous a permis aussi de parler de l�histoire de mani�re un peu plus adapt�e, de parler des souffrances. Une id�e a �t� avanc�e, c�est celle de ne pas confondre m�moire et histoire. Ce ne sont pas les gens qui ont la m�moire des faits qui vont faire l�histoire. Ceux qui ont v�cu les faits portent les sentiments, les anecdotes, les souffrances. L�histoire, il faut la laisser aux historiens qui prennent le recul n�cessaire pour pouvoir voir le fil conducteur et inscrire l�histoire des familles, de ce qui s�est pass� dans notre pays dans l�histoire de l�humanit�. Quelle est la part de la psychiatrie et du psychiatre dans ce travail d�inscription dans l�histoire? Le psychiatre est un donneur de sens. Il donne du sens � un comportement qui n�en aurait pas. C�est en donnant du sens au comportement d�une personne qui souffre d�un traumatisme psychique que ce trouble va diminuer, parfois gu�rir, et permettre � l�environnement familial ou social de le tol�rer et de lui permettre de s�exprimer. Il a �t� dit qu�en Alg�rie les traumatismes caus�s par la guerre de Lib�ration nationale n�ont pas �t� pris en compte. Comment vous expliquez cela ? Apr�s l�ind�pendance, et c�est ce qu�a dit Mohamed Bedjaoui, on a �vit� de parler des traumatismes, tant en France qu�en Alg�rie. Comme si on devait �viter de nuire � l�autre. Chacun devant �viter de d�t�riorer plus des relations qui �taient d�j� pas mal d�t�rior�es. C�est comme dans nos familles, o� on �vite de faire ressortir ce qui nous s�pare pour maintenir l�union familiale. Comme si on ne doit pas dire ce qui f�che. Et lorsqu�une personne se pr�sente � une consultation ?
A l��chelle individuelle, on a toujours pris en
charge ceux qui viennent demander de l�aide.
Il peut ressortir apr�s un autre traumatisme, il
peut appara�tre aussi dans les insomnies, les cauchemars.Le silence en Alg�rie
autour de ce probl�me reste tout de m�me inexplicable.
Oui, de mani�re
g�n�rale, les Alg�riens ont �t� victimes de la colonisation et juste apr�s
l�ind�pendance, on leur a donn� des biens, des taxis, des magasins, des
pensions, mais on pensait que cela suffisait, on pensait que pour les gens qui
manquaient de reconnaissance, il suffirait de leur donner des biens. Mais on ne
leur a pas donn� ou pas suffisamment d��coute, d�aide psychologique. C�est
depuis quelques ann�es que l�on commence � r�fl�chir � ces questions-l�, qu�on
pense que la blessure n�est pas seulement physique et que la blessure
psychologique est aussi importante. C�est relativement r�cent. Nous allons devenir l�un des pays qui connaissent le mieux les r�actions psychologiques post-traumatiques. Parce que nous avons eu, en plus des traumatismes de la guerre de lib�ration, m�me si on les a un peu �lud�s, de nombreux traumatismes ces quinze derni�res ann�es : massacres collectifs, inondations, tremblement de terre, accidents.
Le minist�re de la Sant� avait propos� de cr�er
des consultations sp�cifiques. Comme toutes les consultations sont satur�es, il
fallait permettre aux personnes et aux familles ayant subi des chocs
post-traumatiques de trouver un lieu o� elles pourraient parler de leur
souffrance. Des consultations ont �t� cr��es autour d�Alger, dans toutes les
zones o� il y a eu des traumatismes psychologiques. Il y a des associations
comme la SARP, SOS femmes en d�tresse... qui ont ouvert des consultations. Il y
a eu aussi un mouvement de formation. Des formations ont �t� engag�es par des
grandes ONG, par des universitaires alg�riens. On a cr�� un CES de psychiatrie
de catastrophe et d�urgence pour les m�decins g�n�ralistes, des formations de
th�rapie familiale pour pouvoir retrouver des liens au sein des familles, par
exemple. Toutes les catastrophes provoquent des ruptures de liens. Comment
reconstituer des liens lorsqu�une famille a �t� d�truite ou une soci�t� ? Dans
le cas de massacres collectifs, chacun devient suspect pour l�autre. Il y a
aussi une rupture de lien � l�int�rieur de la soci�t� m�me. Reconstituer des
liens, c�est valable � l�int�rieur des familles, mais aussi dans la soci�t�.
En 2000, nous
avons fait un premier congr�s sur les troubles psychiques post-traumatiques �
Alger. Nous avons invit� des sp�cialistes de plusieurs pays, il y a eu le
Congr�s international sur le terrorisme au Club des Pins. On commence �
s�ouvrir, depuis 2000, � l�ext�rieur et on demande aux gens de venir discuter
avec nous parce que nous avons nous-m�mes une exp�rience et nous voulons la
confronter � tous ceux qui ont une connaissance sur le sujet. Cela nous permet
aussi d��tre cathartiques de parler de nos malheurs et, quelque part, de les
exorciser. Quand on entend les gens parler de leur souffrance, c�est difficile
de rester de marbre. On participe � la douleur. �M�moires et souffrances� Th�me du 1er congr�s de la soci�t� franco-alg�rienne de psychiatrie EL MOUDJAHID Le : Mercredi 24 septembre 2003 La Soci�t� franco-alg�rienne de psychiatrie (SFAP) tiendra, les 3 et 4 octobre prochain � Paris son 1er congr�s plac� sous le th�me g�n�rique : �M�moires et souffrances�. Cette rencontre scientifique inscrite dans le cadre de �Djaza�r, une Ann�e de l�Alg�rie en France�, regroupera, au sein de l�auditorium de l�h�pital europ�en �Georges Pompidou� des repr�sentants des communaut�s m�dicales alg�rienne et fran�aise aux c�t�s de sp�cialistes d�horizons divers (historiens, �crivains, philosophes, sociologues, anthropologues).
Deux jours durant, cette assistance pluridisciplinaire aura �
d�battre et � d�velopper plusieurs questions ayant trait � deux axes principaux.
Le premier sera consacr� aux �psychotraumatismes li�s � la guerre de Lib�ration
nationale�, le second s�articulera autour des ph�nom�nes complexes de la m�moire
post-traumatique. Le premier congr�s franco-alg�rien consacr� aux �tats post-traumatiques li�s � la guerre d�Alg�rie et aux ph�nom�nes complexes de la m�moire post-traumatique se tiendra les 3 et 4 octobre 2003 � l�Auditorium de l�h�pital europ�en Georges Pompidou � Paris. L�initiative de ce congr�s, qui intervient � l�occasion de Djaza�r 2003, revient � la Soci�t� franco-alg�rienne de psychiatrie.
El Watan 01 octobre 2003 LE
MONDE | 27.12.00 | �DITORIAL M�moires
bless�es Le
devoir de m�moire, si souvent invoqu� pour appeler la soci�t� fran�aise �
faire la lumi�re sur les zones obscures de son histoire, ne rel�ve pas
seulement d�un imp�ratif moral, il participe aussi, dans bien des cas, d�une
obligation th�rapeutique, afin de permettre � ceux qui ont v�cu ces �v�nements
douloureux de se lib�rer du poids de leur pass�. Le
retour de la guerre d�Alg�rie dans le d�bat public atteste une fois de plus l�importance
de ce travail d�anamn�se : selon notre enqu�te (lire
page 8) 350 000 anciens combattants fran�ais d�Alg�rie
souffriraient de troubles psychiques li�s � la guerre ; longtemps apr�s,
ces hommes qui furent les acteurs et les t�moins d�horreurs r�p�t�es ne s�en
remettent toujours pas. Le
philosophe Paul Ric�ur estime, dans son livre r�cent La
M�moire, l�oubli, l�histoire, qu�� on
peut l�gitimement parler de m�moire bless�e, voire malade � et qu�en
t�moignent des expressions courantes
telles que � traumatisme � ou � cicatrice �. Il
se r�f�re � deux textes de Freud qui montrent comment le travail de rem�moration
peut r�concilier l�homme souffrant avec lui-m�me en l�autorisant � �tablir
� un rapport v�ridique avec son
pass� �, ou comment le travail de deuil, en se faisant travail du
souvenir, le d�livre du � d�sastre de la m�lancolie �. Le
� traumatisme � de la guerre d�Alg�rie et les � cicatrices �
qu�elle a laiss�es, de part et d�autre de la M�diterran�e, sont un bon
exemple de cette relation pathologique et des troubles que celle-ci entra�ne.
Pour en sortir enfin apr�s quarante ans, ou presque, de silence contraint, il
importe que la cure ne se limite pas aux individus, si nombreux soient-ils, dont
la vie a �t� boulevers�e par le conflit, il faut qu�elle soit prise en
charge par la nation tout enti�re. Car c�est bien la m�moire collective de la
France qui est bless�e, malade du non-dit persistant et de l�impossible oubli. De
ce point de vue, la responsabilit� des autorit�s fran�aises est lourdement
engag�e. Cette responsabilit�, les deux t�tes de l�ex�cutif ne paraissent
pas aujourd�hui r�solues � l�assumer. Jacques Chirac a pr�f�r� s�en
remettre au temps qui passe en d�clarant, au cours de son intervention t�l�vis�e
du 14 d�cembre, qu�il ne fallait pas � cr�er d��v�nement qui
pourrait raviver les plaies du pass� �. Quant
� Lionel Jospin, il a d�abord sembl� pr�t � s�associer � cette � �uvre
de m�moire � en apportant son soutien, le 4 novembre, lors d�un d�ner
du Conseil repr�sentatif des institutions juives de France, � l�appel de
douze intellectuels pour la reconnaissance et la condamnation de l�utilisation
de la torture en Alg�rie ; mais il s�est content� ensuite
de renvoyer au travail des historiens sans que l�Etat lui-m�me fasse le
moindre geste ni que soit r�gl�e la difficile question de l�acc�s aux
archives les plus sensibles. Ces
prudences ne sont plus acceptables. On attend des pouvoirs publics l�expression
d�une r�elle volont� politique dans ce n�cessaire travail de m�moire.
LE MONDE.FR | 27.12.00 | 350 000 anciens d�Alg�rie souffriraient de troubles psychiques li�s � la guerre Cette estimation repose sur un parall�le avec des �tudes am�ricaines sur la guerre du Vietnam. Elle est confirm�e par plusieurs psychiatres. Crises d�angoisse, cauchemars : un v�t�ran sur quatre revit, quarante ans apr�s, les exactions vues, subies ou commises. Comment mesurer la souffrance psychique de toute une cat�gorie de population quand celle-ci n�a jamais fait l�objet de la moindre enqu�te officielle en quarante ans ? Si les blessures psychiques sont d�autant plus douloureuses � vivre qu�elles sont invisibles, celles des anciens d�Alg�rie le sont davantage encore par la nature m�me de cette guerre : une � op�ration de maintien de l�ordre � (ainsi nomm�e jusqu�en 1999), qui a tout de m�me fait quelque 30 000 morts c�t� fran�ais et entre 300 000 et un million (suivant les sources) c�t� alg�rien dans ce qui l�a traumatis�e autrefois �, insiste Marie-Odile Godard. M�decin g�n�raliste dans le Finist�re et conseil de la F�d�ration nationale des anciens combattants en Alg�rie, Maroc et Tunisie (Fnaca) dans ce d�partement, le docteur Jean-Louis Gu�guen explique que, sur dix anciens d�Alg�rie qui auraient n�cessit� un soutien psychoth�rapeutique, deux seulement se sont laiss� convaincre. M�me constat du psychiatre Bernard Sigg, c�l�bre pour son opposition retentissante � la guerre d�Alg�rie en 1960. Aujourd�hui vice-pr�sident de l�Association r�publicaine des anciens combattants et victimes de guerre (ARAC), l�auteur du livre Le Silence et la Honte (Messidor) souligne que les anciens appel�s pr�f�rent taire leurs angoisses. � Leur principal m�dicament, c�est l�alcool. L�alcool pour oublier la peur. La peur, toujours la peur. Je ne cesse d�entendre ce mot. � Peur des embuscades, peur du copain qu�on risque de d�couvrir horriblement mutil�, le sexe coup� et plac� dans la bouche, mais peur aussi des sup�rieurs dans une ambiance permanente de stress et d�extr�me violence, si ce n�est de sadisme, en particulier de la part des DOP (d�tachements op�rationnels de protection), ces unit�s charg�es de pratiquer la torture de fa�on � professionnelle � sur les prisonniers alg�riens. � Les appel�s redoutaient les cons�quences de leur r�sistance ou de leur refus, surtout � l��gard de la question de la torture, souligne Mme Godard. Tous, absolument tous, ont au minimum entendu ou vu pratiquer la torture. Leur grand drame, me disent-ils aujourd�hui, c�est de n�avoir pas su dire non � l��poque. D�avoir eu vingt ans et de n�avoir pas su r�agir. � Comment gu�rir ces � bless�s de l��me �, souvent accabl�s par le poids de la culpabilit� ou de la honte ? � D�abord par la reconnaissance de leur drame �, r�pondent deux des plus grands noms de la psychiatrie militaire, les m�decins g�n�raux Claude Barrois et Louis Crocq, auteurs d�ouvrages de r�f�rence (respectivement Les N�vroses traumatiques, Dunod, et Les Traumatismes psychiques de guerre, Odile Jacob). La substitution � l�expression � maintien de l�ordre � du mot � guerre �, il y a deux ans, a �t� une premi�re �tape. L�obtention � difficile � d�une pension d�invalidit� est une autre forme de reconnaissance, non n�gligeable par son effet symbolique autant que financier, soulignent ces deux psychiatres. Mais l�acc�s � un suivi m�dico-th�rapeutique gratuit reste la principale revendication de ceux qui c�toient les anciens d�Alg�rie. L�ouverture de centres de consultations de proximit�, � l�image des Vet Centers am�ricains, moins intimidants que l�h�pital, serait une avanc�e majeure. � Ceux qui le veulent pourraient venir parler, de fa�on anonyme, au besoin avec leur famille, et accoucher de cette douleur qui les �crase depuis trop longtemps �, plaide l�avocate Jacqueline Thabeault-Alcandre, sp�cialiste en droit des pensions militaires d�invalidit�. Auparavant, il faudrait qu�on ait enfin r�alis� une enqu�te �pid�miologique sur les anciens d�Alg�rie, r�clam�e depuis des ann�es par les professeurs Barrois et Crocq, ainsi que par les associations. Qu�on affronte enfin le probl�me de fa�on scientifique, pour mieux le r�soudre. � Il n�est pas trop tard, il n�est jamais trop tard, ni pour les soins ni pour mener une enqu�te objective �, assure le professeur Crocq. Le secr�taire d�Etat Jean-Pierre Masseret indique que telle est son intention, m�me s�il n�est pas tout � fait convaincu de la n�cessit� de Vet Centers � la fran�aise. Les b�n�ficiaires en seraient pourtant non seulement les anciens d�Alg�rie, mais tous ceux qui, en Irak, en Bosnie, au Kosovo ou ailleurs, ont eu un jour le malheur de voir leur vie basculer. Fl. B. L'exemple am�ricain des Vet Centers Implant�s dans des galeries commerciales ou � proximit� des universit�s, � cause de leur facilit� d�acc�s, les Vet Centers sont des centres de consultation destin�s aux v�t�rans de la guerre du Vietnam (ao�t 1964 - janvier 1973) souffrant de troubles psychiques, souhaitant se faire aider mais sans �tre consid�r�s comme des malades mentaux. Le premier des Vet Centers a ouvert ses portes en octobre 1979 et a aussit�t connu un succ�s foudroyant. Il existe aujourd�hui presque 200 de ces centres, r�partis sur tout le territoire am�ricain et accessibles aux v�t�rans comme � leur famille. Des psychiatres et psychologues autant que des assistants sociaux, des orientateurs professionnels ou des conseillers juridiques y travaillent, pour un budget annuel de 47 millions de dollars. Le gouvernement am�ricain estime qu�entre 560 000 et 800 000 anciens du Vietnam, soit un sur quatre, souffrent de PTSD (post traumatic stress disorder), �quivalent de la � n�vrose traumatique �, blessure psychique tr�s sp�cifique.
LE MONDE | 23.06.00 | La m�moire meurtrie CHAQUE FOIS qu'un face-�-face met en pr�sence l'Alg�rie et son ancienne puissance tut�laire, on se prend � esp�rer, tout au moins c�t� alg�rien, un propos fran�ais de nature � adoucir la blessure jamais gu�rie de la colonisation. Encore une fois, cet espoir est d��u. Comment pouvait-il en �tre autrement ? La m�moire alg�rienne est meurtrie, non seulement par l'humiliation d'un trop long servage, mais encore par le tissu de mensonges qui lui est servi depuis quarante ans par ceux qui se sont institu�s d�tenteurs de l'Histoire. Elle recherche son salut dans un impossible oubli, voire dans un nihilisme vengeur qui nourrit sa pulsion suicidaire. Elle traite son pass� par l'ironie ou un mutisme qui peut �tre per�u comme une preuve de culpabilit� vis-�-vis des autres acteurs de la guerre de lib�ration, harkis et pieds-noirs, qui sont ainsi confort�s dans un statut de victimes, promptes � se parer du manteau de l'innocence ch�ti�e. Et pourtant, quel long martyrologe que celui du peuple alg�rien ! Des � enfumages � � grande �chelle � la famine (1926 : 26 % de la population indig�ne dispara�t. La faute � la m�t�o ? Non. La faute aux regroupements forc�s des paysans dans des villages, qui les ont emp�ch�s de proc�der aux travaux d'agriculture), des massacres de S�tif � l'institutionnalisation de la torture. Cette souffrance est cependant indicible. La revendiquer revient � faire remonter � la surface un temps o� ce peuple, volontiers macho et bravache, s'est mis en situation de subir ce sort, un temps o� ce peuple, volontiers fier-�-bras, a march� en courbant l'�chine, un temps o� ce peuple rebelle � toute autorit� a d� apprendre la caut�le des servants empress�s. Face � ce silence rugit la faconde des inconsolables de l'Alg�rie fran�aise, s'impose la mythologie des d�fricheurs de terres vierges impos�e par l'iconographie coloniale. Les Alg�riens en sont m�me arriv�s � int�grer cette vision et � se persuader qu'ils n'ont pu �tre trait�s ainsi que parce qu'ils constituaient un ramassis de peuplades � l'�tat sauvage, indignes de ce grand pays dont la nature les a dot�s et qu'ils ont �t� incapables de d�velopper. Qui dira que le fameux coup d'�ventail du dey d'Alger au consul de France qui a conduit � l'invasion du territoire avait pour origine une dette de bl� non honor�e par la France ? Cette terre en friche exportait donc du bl� ! Qui dira que cette cr�ance �tait d�tenue par les fr�res Bakri, n�gociants juifs ? Ce r�gime arri�r� et sectaire prot�geait donc les int�r�ts de ses sujets, fussent-ils juifs ! La rencontre entre l'Alg�rie et la France est encore une rencontre entre une souffrance aussi profuse qu'indicible et une bonne foi aussi bruyante qu'inoxydable. En ces temps de repentance, le meilleur service que pourrait rendre la France � l'Alg�rie n'est pas d'ordre �conomique ou politique mais symbolique. Des dizaines de milliers d'Alg�riens sont morts pour la grandeur de la France sur les champs de bataille de Verdun ou de Monte Cassino, des centaines de milliers d'Alg�riens sont morts dans leur qu�te de dignit� humaine. Aujourd'hui encore, ce peuple, � la recherche d'une impossible paix avec lui-m�me, d�sireux d'en finir avec la haine de soi impos�e par une histoire humiliante, n'est pas sorti de ses convulsions. La France gagnerait en grandeur en l'aidant dans son entreprise de r�conciliation avec lui-m�me, en reconnaissant cette zone d'ombre que constitue son pass� colonial. En participant � la r��valuation de cette p�riode, elle reconna�trait que ses stigmates ne sont pas compl�tement �trangers au drame interminable qui se d�roule sur l'autre rive. par Brahim Senouci Brahim Senouci enseigne la physique � l'IUT de Sarcelles. � ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.06.00 MAURICE T. MASCHINO LE MONDE DIPLOMATIQUE | F�VRIER 2001 | Pages 8 et 9 LA COLONISATION TELLE
QU'ON L'ENSEIGNE
IL aura fallu pr�s de quarante ans pour que s'engage
enfin en France le d�bat sur la torture durant la guerre d'Alg�rie
(1954-1962), pour que l'on accepte d'�couter les voix meurtries des victimes.
Avec bien des embarras et des et malgr� les r�ticences, voire les entraves des
autorit�s officielles, tant il est difficile de revenir sur cette � guerre
sans nom �, enfouie au plus profond des m�moires. Tant il est difficile
aussi de lever le voile qui s'est abattu sur l'histoire coloniale et ses
innombrables crimes, cette histoire que les manuels scolaires pr�sentent
toujours comme � une belle aventure intellectuelle � dont le bilan
serait � globalement positif �.
Septembre 1957 : compos�e de diverses
personnalit�s et nomm�e par le gouvernement fran�ais sous la pression de
l'opposition de gauche, la Commission de sauvegarde des droits et des libert�s
individuelles constate, dans un rapport accablant, que la torture est une
pratique courante en Alg�rie. D�cembre 2000 : devant l'�moi suscit� par la
publication, dans Le Monde, de nouveaux t�moignages sur la torture, le
premier ministre estime qu'il s'agit l� de � d�voiements minoritaires �.
Premi�re contrev�rit�. Mais il n'est pas hostile, ajoute-t-il sans rire, �
ce que les historiens fassent la lumi�re sur ces � d�voiements � :
deuxi�me contrev�rit�... Contrairement � son engagement du 27 juillet I997,
et sauf d�rogation durement arrach�e, les archives les plus sensibles ne sont
toujours pas consultables. 1957-2001 : depuis quarante-quatre ans, de Guy
Mollet � M. Lionel Jospin, la France officielle vit dans la culture du
mensonge. Fait mine de vouloir s'informer et bloque le libre acc�s �
l'information. Avoue � demi (� La France a �prouv� quelque difficult�
� regarder sa propre histoire avec lucidit� �, dit M. Jospin),
puis se r�tracte. Et ne veut rien savoir. Ou le moins possible. Et,
lorsqu'un g�n�ral d�clare au journal t�l�vis� de 20 heures qu'il a, de sa
propre main, et au m�pris de toutes les lois de la guerre, ex�cut� froidement
vingt-quatre prisonniers alg�riens, fait la sourde oreille. Au demeurant, sans le moindre remords. Si forte aussi
est la conviction, largement partag�e par les citoyens, y compris des
historiens et des enseignants, que, malgr� d'in�vitables et � regrettables �
� bavures �, la France a beaucoup apport� - des routes, des h�pitaux,
des �coles, comme on sait... - aux peuples qu'elle a soumis. � Oui, la colonisation a eu du positif,
affirme B.D., professeur en classe pr�paratoire dans l'un des deux lyc�es
parisiens o� se concentre l'�lite de demain. On a quand m�me l�gu� �
l'Alg�rie des infrastructures modernes, un syst�me �ducatif, des biblioth�ques,
des centres sociaux... Il n'y avait que 10 % d'�tudiants alg�riens en
1962 ? C'est peu, bien s�r, mais ce n'est pas rien ! � Bonne conscience des uns, mauvaise foi des autres :
c'est dans cette atmosph�re d'autosatisfaction, de d�ni permanent et
d'occultation � tout prix d'une r�alit� �pouvantable (lorsqu'on l'examine
sans lunettes tricolores) que s'inscrit, dans les �coles, l'enseignement de
l'histoire. Chapeaut� par un pouvoir politique, tous partis confondus, qui
entend maintenir les citoyens dans l'ignorance, tout en leur faisant croire
qu'il les informe, cet enseignement est incapable d'instruire les jeunes sur les
r�alit�s du syst�me colonial - la n�gation absolue qu'il repr�sente de l'�tre
humain comme des valeurs proclam�es de la R�publique - pas davantage qu'il ne
leur permet de comprendre ce que, jusqu'au 10 ao�t 1999, on se refusait,
officiellement, � appeler une guerre. Instructions minist�rielles, programmes, horaires,
manuels, tout l'arsenal p�dagogique est mis en oeuvre pour que les �l�ves des
�coles, des coll�ges et des lyc�es en sachent le moins possible. Tout commence d�s l'�cole �l�mentaire. O�
l'instituteur doit survoler en cinq ans deux mille ans d'histoire. � La
colonisation ? Oui, j'en parle, tr�s vite, dit l'un d'eux. Mais les
photos du livre compl�tent le cours. � Ou le contredisent (�ventuellement) :
presque toutes donnent une image positive de l'occupation fran�aise. Alg�rie
1860, de gentils petits � indig�nes � boivent la parole du ma�tre,
des colons mettent en valeur des terres (Hachette [1]). L'instituteur, sans doute, peut en faire un
commentaire critique, mais, le plus souvent, il ne veut pas � choquer �
de � jeunes esprits �, et, comme le reconna�t notre
interlocuteur, � on n'insiste pas trop sur les mauvais c�t�s de la
colonisation �. Nul doute que ces � c�t�s �-l� sont
vite oubli�s, d'autant plus qu'aucune photo - enfumades de Bugeaud, coups de
matraque, enfants loqueteux, gourbis mis�rables - n'en donne la moindre id�e. En guise d'histoire, de la propagande. La plus grossi�re
qui soit. La plus cynique. Autant par ce qu'elle tait que par ce qu'elle c�l�bre :
rien n'est dit aux �l�ves, qui �tudient en 4e � le partage du monde �,
des pillages et exactions de toutes sortes auxquels ce partage a donn� lieu ;
tout les incite, au contraire, � admirer la belle � aventure
intellectuelle � qu'a repr�sent�e pour les Europ�ens l'exploration du
monde du XIXe si�cle. � On sera attentif, pr�cisent les
instructions officielles de 1995, aux aspects culturels du ph�nom�ne :
d�veloppement des soci�t�s de g�ographie, essor de l'ethnologie (2)... �
De l'utilit� du � bon sauvage �... Des programmes r�duits et r�ducteurs
MIS en condition par leurs ann�es d'�cole et de
coll�ge, les �l�ves sont pr�ts, au lyc�e, � accepter sans le moindre
esprit critique (puisqu'on a tout fait pour l'�touffer) la version tronqu�e,
expurg�e et globalement propre de la guerre d'Alg�rie. A condition, naturellement, que l'enseignant la
prenne comme objet d'�tude. La guerre d'Alg�rie n'est pas express�ment
mentionn�e dans le programme de 3e, ou dans cette partie du programme, elle-m�me
r�duite � la portion congrue, qui permet de l'aborder : � De la
guerre froide au monde d'aujourd'hui (relations Est-Ouest, d�colonisation, �clatement
du monde communiste). � � Les programmes actuels sont beaucoup plus r�duits,
et r�ducteurs, que les pr�c�dents, constate O.D., professeur agr�g�. Loin
de former un chapitre � part, la d�colonisation ne repr�sente plus qu'un
paragraphe dans l'�tude des relations internationales de 1945 � nos jours.
Autrement dit, presque rien. Quel temps peut-on consacrer � la guerre d'Alg�rie
lorsqu'on doit expliquer la conf�rence de Bandung, la d�colonisation de
l'Inde, de l'Indon�sie, de l'Indochine ? Une heure, c'est d�j� beaucoup,
et les manuels sont tr�s succincts : conformes aux programmes de 1989, les
nouveaux accordent moins de place � la d�colonisation qu'� la colonisation et
� la seconde guerre mondiale. � Sur la table, dans la � salle des profs �,
quelques sp�cimens. � En Alg�rie, la r�pression et la guerre
(1954-1962) r�pondent � la gu�rilla men�e par le FLN � (Br�al,
3e). Mais pourquoi cette � gu�rilla � ? La chronologie, dans
la partie � documents �, n'explique rien, et pas davantage les
extraits d'un discours de Bigeard. Le Magnard fait encore mieux : dans la
partie � cours �, il � liquide � en cinq lignes la
guerre d'Alg�rie et publie comme � documents � quatre photos peu
suggestives (par exemple, un bureau de vote � Alger en 1962). �cole �l�mentaire, coll�ge, lyc�e : aust�rit�
jospinienne oblige - le r�gime maigre, pour tous, est de rigueur. Les � terminales � ne sont pas mieux
servis. Et ne sont m�me pas en �tat, pour la plupart, d'entendre les propos
sens�s qu'un enseignant, �ventuellement, peut leur tenir : le matraquage
id�ologique auquel ils ont �t� soumis les ann�es pr�c�dentes les rend
souvent insensibles � un contre-discours. � Seuls ceux dont la famille
a �t� touch�e posent des questions, observe G.R., professeur agr�g�
dans un lyc�e de province. Les autres prennent des notes, gentiment. Comme
j'en prenais quand, en classe, on me parlait de la guerre de 14... � Abreuv�s d'images qui c�l�brent, m�me si elles ne
la nomment pas, la � mission civilisatrice � de la � m�tropole �,
ignorant presque tout des profits (mat�riels, symboliques) que � m�tropolitains �
et colons tiraient de l'exploitation du peuple alg�rien, n'ayant jamais eu
l'occasion d'analyser le syst�me colonial dans ses manifestations � concr�tes �,
telles que les ont subies les colonis�s (racisme - dont aucun manuel, except�
le Br�al de terminale, ne dit mot -, injustices de toutes sortes, in�galit�s
�conomiques, sociales, politiques, culturelles), ils ne sont pas � m�me de
comprendre pour quelles raisons, sinon leur � fanatisme � ou leur
� ingratitude �, les � musulmans � se sont r�volt�s,
ni pourquoi la France s'est oppos�e si violemment � leur � �mancipation �,
comme disent pudiquement les livres de classe. � Comme les Alg�riens n'apparaissent pas dans
leur condition d'"indig�nes" et leur statut de sous-citoyens, comme
l'histoire du mouvement nationaliste n'est jamais �voqu�e, comme aucune des
grandes figures de la r�sistance - Messali Hadj, Ferhat Abbas - n'�merge ni ne retient
l'attention, dit Benjamin Stora, bref, comme on n'explique pas aux �l�ves
ce qu'a �t� la colonisation, on les rend incapables de comprendre pourquoi il
y a eu d�colonisation. � � C'est vrai, admet Jean-Pierre Rioux, inspecteur g�n�ral
d'histoire, la d�colonisation arrive un peu ex-abrupto. Mais rien n'interdit
au professeur de combler les lacunes. � Rien non plus ne l'y oblige ;
tout l'incite, au contraire - et d'abord, la fa�on m�me, quasi clandestine,
dont la guerre d'Alg�rie s'ins�re dans le programme -, � ne pas
s'attarder sur une question � mineure �. De la m�me mani�re qu'en 3e, et selon la m�me
logique de d�sinformation, ou d'information au rabais qui s�vit dans
l'ensemble des programmes d'histoire, la guerre d'Alg�rie n'est pas l'objet, en
terminale, d'un chapitre particulier. Elle n'est m�me mentionn�e, comme telle, dans
aucune des sections du programme - le monde de 1939 � nos jours. � Elle
est repouss�e dans les coins �, constate l'historien Gilles Manceron.
Marginalis�e. Etudi�e �ventuellement comme exemple dans la rubrique
Emancipation des peuples colonis�s (� Certains coll�gues l'exp�dient
en quelques mots et pr�f�rent insister sur l'Inde ou l'Indon�sie �,
assure L.P., professeur agr�g�), elle peut aussi �tre abord�e en rapport
avec la fin de la IVe R�publique, c'est-�-dire comme une affaire fran�aise
(qui a mal tourn�) et dans une perspective avant tout hexagonale. � On
a pour mission de pr�senter aux �l�ves un paysage vu du c�t� fran�ais �,
confirme l'inspecteur g�n�ral Rioux. Ne pas surcharger l'�l�ve de mauvais souvenirs
IL n'est donc pas �tonnant que beaucoup
d'enseignants ne s'y attardent pas. Non (ou pas seulement) � cause du manque de
temps et de la surcharge des programmes, mais parce que ce paysage-l� n'est pas
particuli�rement plaisant � contempler. Evoquer les horreurs que l'arm�e fran�aise
a commises, la l�chet� et la duplicit� des divers gouvernements, les
compromissions des partis, de gauche comme de droite, en g�ne plus d'un : � La
guerre d'Alg�rie n'est pas tr�s bien plac�e dans une vision du politiquement
correct qui d�coulerait tout entier du plus jamais �a apr�s Auschwitz �,
convient l'inspecteur g�n�ral Rioux, qui ne semble pas souhaiter, au
demeurant, qu'on s'y arr�te trop longtemps. Et de poursuivre : � Au nom de quoi
faudrait-il s'attarder d�lib�r�ment sur la guerre d'Alg�rie ? Pourquoi
ne pas s'attarder sur la guerre du Vietnam ou le Kosovo ? C'est un peu sans
fin. Et au d�triment d'aspects plus flatteurs ou plus positifs du si�cle. Nous
n'attirons pas assez l'attention des �l�ves sur ce qu'a �t� le d�veloppement
des m�dias ou le d�veloppement des sciences et des techniques Je ne suis pas s�r
qu'on pr�pare bien les jeunes � comprendre des r�volutions du type Internet.
Et puis, il y a d'autres �ch�ances civiques : l'Europe, par exemple.
C'est aussi important qu'un long �pilogue sur la guerre d'Alg�rie. � Affaire entendue - et class�e : comme les �l�ves
ne doivent pas �tre � les otages du devoir de m�moire �,
selon l'inspecteur g�n�ral Jean-Louis Nembrini, il n'est donc pas question de
les surcharger de (mauvais) souvenirs. Et le mieux (dans cette optique) est de
s'en tenir aux quelques rep�res, toujours tr�s maigres, que proposent les
manuels. L�g�rement retouch�s, ils parlent bien de guerre.
Mais, comme effray�s de leur audace, ils n'en disent pas plus : de quelle
guerre s'agit-il ? D'une guerre de lib�ration ? Impensable dans une
perspective fran�aise, la seule retenue. D'une guerre de reconqu�te coloniale ?
Assur�ment, mais l'expression est g�nante, et trop parlante. Except� le Br�al
- le seul qui n'ait pas peur des mots et soit d'une honn�tet� remarquable :
� Du droit des peuples � disposer d'eux-m�mes �, annonce le titre
du chapitre sur la guerre d'Alg�rie -, tous les autres s'en tiennent � un
prudent clair-obscur. La m�me ambigu�t� concerne les combattants. Si
l'on ne sait pas de quelle guerre il s'agit, on ne sait pas davantage qui se bat :
les termes qu'on emploie tout naturellement lorsqu'on traite de la seconde
guerre mondiale (les Allemands, les SS, l'occupant / les Fran�ais, les r�sistants)
sont �videmment bannis. � L'occupant ? s'insurge une
professeure agr�g�e. Mais vous perdez la t�te ! L'occupant, c'est
Klaus Barbie � Lyon. � Et Massu � Alger, non ? � Ah
non, dit-elle en s'�touffant presque, vous exag�rez ! Pourquoi
vouloir assimiler la colonisation � autre chose ? � Mais que les manuels assimilent implicitement la
guerre d'Alg�rie � une croisade ne la choque pas outre mesure : � Les
mots qui reviennent le plus souvent - les Europ�ens, les musulmans - ne
sont pas tr�s exacts, j'en conviens, mais ce sont les plus commodes. �
Les plus commodes, en effet, pour brouiller les cartes et diaboliser l'ennemi :
comment s'identifier � des musulmans, quand, � l'�cole primaire, on a pris
parti pour Charles Martel ? Ni maquisards, ni r�sistants, ni patriotes
LE vocabulaire des manuels manque totalement de
rigueur et d'honn�tet�, pr�te constamment � confusion, m�le les genres (le
politique et le psychologique) : l'un parle de � s�paration
douloureuse � (Hachette) - mais � douloureuse �
pour qui ? l'autre, de � d�chirements coloniaux �
(Magnard), tel autre, d'ind�pendance � arrach�e �, avec
guillemets, tandis qu'un quatri�me, plus audacieux, n'en met pas. Presque tous
�prouvent les plus grandes difficult�s � nommer clairement cette guerre, sa
finalit�, ceux qu'elle confronte : aux Europ�ens, aux colons, aux
parachutistes s'opposent des musulmans, des fellaghas, des terroristes - jamais
des maquisards, des r�sistants, des patriotes. Les manuels sont tout aussi mal � l'aise quand il
s'agit de nommer les faits. La plupart s'en tiennent au minimum, tr�s peu �voquent
les massacres de S�tif en 1945, encore moins le carnage de Philippeville en ao�t
1955 et, entre le 1er novembre 1954 (� Toussaint rouge �,
� insurrection �, � vague d'attentats �) et les
accords d'Evian, citent, de la fa�on la plus neutre, la plus plate, les �pisodes
majeurs de la guerre : bataille d'Alger, chute de la IVe R�publique, arriv�e
au pouvoir de de Gaulle, putsch des g�n�raux, OAS, � retour des
pieds-noirs �. Presque tous �voquent la torture, mais la minimisent :
� Certains militaires utilisent la torture � (Hatier), les
massacres d'Europ�ens entra�nent une r�pression tr�s dure � et m�me
des tortures de la part de l'arm�e � (Belin). C'est regrettable, mais
l'arm�e y est � contrainte � (Hachette), et comme il s'agit
d'� arracher des renseignements � (Istra, Nathan), de � d�monter
les r�seaux du FLN � (Hatier) et d'emp�cher des attentats (presque
toujours cit�s dans la m�me phrase o� l'on parle des tortures), la fin, somme
toute, justifie les moyens. Ce n'est certes pas �crit noir sur blanc, c'est sugg�r� :
loin de faire r�fl�chir les �l�ves sur le scandale d'une R�publique qui
foule aux pieds ses valeurs, les manuels font le dos rond, excusent quasiment,
quand ils ne s'efforcent pas de justifier ou de l�gitimer ce qu'ils pr�sentent
presque tous comme un mal n�cessaire, mais efficace : � Les paras
brisent par la torture les r�seaux du FLN � (Magnard). Les voil�
donc absous : de tortionnaires, ils deviennent des Tarzans au grand c�ur. G�n�s, d'autres emploient des euph�mismes et
disent sans dire : � Le FLN est malmen� � (� bataille
d'Alger �). � On est bien oblig� de tenir compte des groupes de
pression, du lobby de l'arm�e, par exemple, qui est tr�s fort �,
explique un responsable �ditorial des �ditions Hachette, qui � assume �,
comme il dit, la phrase incrimin�e : � Nous avons fait le choix
de ne pas citer la torture, qui est un sujet pol�mique. Un manuel n'est pas une
tribune... On ne s'interdit pas de citer les faits, naturellement, mais il y a
trois ans, quand le manuel a �t� �crit, donc avant le livre et les aveux de
Massu, la torture n'�tait pas encore un fait historique. � Un cas particulier, ce manuel ? Sur la torture,
oui. Mais la plupart des autres choisissent tout autant leurs faits. Tr�s
discrets sur les raisons de cette guerre (ils invoquent plus volontiers
l'opposition des Etats-Unis et de l'Union sovi�tique au maintien de la pr�sence
fran�aise en Alg�rie que les horreurs du colonialisme), tr�s circonspects sur
le d�roulement des op�rations (ratissages de mechtas, ex�cutions sommaires,
napalm sur les Aur�s, camps de regroupement ne sont pas �voqu�s), tr�s
avares de chiffres (aucun ne pr�cise que plus de deux millions d'appel�s ont
�t� envoy�s en Alg�rie), ils ne disent presque rien de l'opposition fran�aise
� la reconqu�te. Quelques-uns citent la d�mission du g�n�ral de
Bollardi�re, publient, dans la partie � documents � (ce qui �vite
de commenter), le � Manifeste des 121 � (3), signalent La
Question, d'Henri Alleg. Mais aucun ne pr�sente des extraits du D�serteur,
de Maurienne, ou du D�sert � l'aube, de No�l Favreli�re, aucun ne
rappelle la lettre-r�quisitoire de Sartre au proc�s Jeanson (ici ou l�, une
vague allusion aux � porteurs de valises �), aucun ne mentionne les
269 saisies de livres et journaux en � m�tropole � (586 en Alg�rie),
ni les films interdits (4), aucun n'analyse cette extraordinaire manipulation de
l'opinion � laquelle se sont livr�s, pendant huit ans, les diff�rents
gouvernements de la R�publique : fausses promesses, mensonges, d�nis -
les � historiens � scolaires ne connaissent pas. Aucun, enfin, ne pr�te attention aux cons�quences,
politiques, humaines, en France comme en Alg�rie, de la guerre : � la
trappe les harkis, les pieds-noirs, les rappel�s et leurs traumatismes, les
centaines de milliers d'Alg�riens aux douars d�truits, aux vies saccag�es. La
guerre, dites-vous ? Mais quelle guerre ? Commenc�e sans raison
(puisqu'on n'en parle pas), la guerre d'Alg�rie s'ach�ve, huit ans plus tard,
sans laisser de traces (puisqu'on ne les �voque pas). Neutralis�e, aseptis�e,
quasiment �vacu�e, elle ne risque pas d'inciter les �l�ves � la r�flexion.
Ce n'est pas l'opinion, �videmment, de l'inspecteur
g�n�ral Jean-Louis Nembrini, qui se r�jouit que sa pr�sentation, dans les
manuels, �vite toute � dramatisation � : � Faire
ressortir de mani�re excessive l'�motionnel, ce n'est pas servir l'objectivit�
historique. Il faut �viter le clinquant... Faire assimiler aux �l�ves les
valeurs de la d�mocratie et de la R�publique, ce n'est pas rechercher des
coupables. � Mais quelles valeurs transmet-on lorsque, sous pr�texte
d'objectivit�, on met sur le m�me plan les bourreaux et les victimes, les
tortionnaires et les tortur�s, le g�n�ral de Bollardi�re, mis aux arr�ts de
forteresse pour s'�tre oppos� � la torture, et les g�n�raux putschistes, r�habilit�s
par Fran�ois Mitterrand ? Loin de respecter les valeurs, les porte-parole
du pouvoir les bafouent, tout autant que leurs commanditaires. � Les manuels sont de v�ritables v�hicules de
l'histoire officielle �, analyse Sandrine Lemaire, agr�g�e d'histoire,
chercheuse, et qui eut le plus grand mal � faire accepter � l'�diteur son
chapitre sur la guerre d'Alg�rie. � Ce sont des �chantillons
particuli�rement r�v�lateurs de ce qu'un Etat veut faire passer en tant que m�moire. �
Les enseignants, sans doute, ne sont pas oblig�s de
transmettre le message tel qu'il est �mis : ils sont libres - les
Instructions officielles ne cessent de le rappeler - de construire leur cours
comme ils l'entendent et de fournir aux �l�ves tous mat�riaux de r�flexion
qu'ils jugent utiles. C'est vrai, mais l'exercice de cette libert� est
singuli�rement difficile. � Les programmes sont agenc�s de telle
sorte, explique Mme V., qu'apr�s avoir �tudi� la conqu�te de
l'Alg�rie en 1re, les �l�ves abordent, en terminale, la d�colonisation. Mais
le syst�me colonial lui-m�me, et les r�sistances qu'il a suscit�es d�s le d�but,
sont �vacu�s de la lettre des programmes. Il y a un grand vide entre la mise
en place du syst�me imp�rialiste et sa contestation. � Le plus contraignant, poursuit cette historienne,
n'est pas tellement le contenu id�ologique - � Nous sommes quand m�me
capables de prendre de la distance ! �, mais � l'obligation
d'assurer un enseignement exclusivement synth�tique, sans avoir donn� des
pistes d'analyse. C'est l� que le b�t blesse. On pr�sente aux �l�ves une
synth�se que ne pr�pare aucune analyse. � Autrement dit, une
pseudo-synth�se. Ou un r�sum�, sans �tude pr�alable de ce qui est r�sum�.
C'est absurde, et c'est voulu : c'est � ce prix-l� qu'on n'entre pas dans
les d�tails, passe sous silence ce qui g�ne, construit un discours le plus
consensuel possible et propose aux �l�ves une lecture sans relief des �v�nements.
� Un cours d'histoire n'est pas une cour d'appel �
LA parade, pour l'enseignant qui respecte son m�tier
et refuse de faire le jeu (truqu�) du pouvoir ? Essayer de combler les
lacunes, en privil�giant l'�tude d�taill�e de deux ou trois questions du
programme - du coup, il en sacrifie d'autres -, en composant pour ses �l�ves
des fiches compl�mentaires, en chargeant des volontaires de constituer un
dossier. � T�che difficile, souligne Mme V. Il faut ruser
avec le temps, qui nous presse, et ne pas oublier qu'en fin d'ann�e il y a
l'examen - le brevet, le bac. On doit donc faire tout le programme, et si
l'on s'arr�te un peu trop sur une question, on risque de passer trop vite sur
une autre. C'est un vrai casse-t�te. � De temps � autre, Mme V. et ses coll�gues
invitent un intervenant. Mais en dehors des heures de cours, et � condition que
l'administration donne son accord. Celle de leur lyc�e est lib�rale. Mais il
arrive qu'� l'�chelon du proviseur, de l'inspecteur d'acad�mie ou du rectorat
il y ait blocage : en poste, il y a peu d'ann�es, dans l'acad�mie de
Reims, Sandrine Lemaire se vit interdire par le recteur l'organisation d'une
exposition sur � images et colonies � : le bureaucrate qui la
re�ut pour lui signifier cette interdiction refusa de lui transmettre la lettre
du recteur - parfaitement arbitraire. Mme V., Sandrine Lemaire, d'autres professeurs,
ici et l� : une minorit�. La plupart ne prennent pas d'initiatives
� intempestives �, font leur cours sans z�le excessif et s'en
tiennent � un discours qu'ils croient neutre : � Un cours
d'histoire n'est pas une cour d'appel, d�cr�te une agr�g�e... La
torture ? Je n'y passe pas plus de dix minutes ! ajoute-t-elle,
exc�d�e. Il y a beaucoup trop de pathos autour de �a. Moi, je r�agis en
historienne... Ce qui n'autorise pas, bien s�r, � tenir un discours purement
chirurgical, mais enfin... � Sont-ils moins m�prisants, bien des enseignants ne
sont pas outill�s intellectuellement pour construire un contre-discours. Form�s
comme tout le monde par l'�cole r�publicaine, ils manquent souvent d'�l�ments
pour s'�carter des chemins balis�s. D'une universit� � l'autre, les
programmes varient - on peut tr�s bien r�ussir aux concours sans avoir �tudi�
en d�tail la guerre d'Alg�rie, qui, au demeurant, � tombe � tr�s
rarement � l'oral, et encore plus rarement � l'�crit - et l'on peut devenir
professeur des �coles (instituteur) sans avoir appris ce qu'on devra enseigner :
� Les deux tiers des candidats qui se pr�sentent au concours d'entr�e
� l'IUFM n'ont pas fait d'histoire depuis le bac, explique Gilles Ragache,
ma�tre de conf�rences en poste dans un institut universitaire de formation des
ma�tres. Et au concours, l'histoire est une mati�re � option... �
Mais il y a pire : il n'est pas s�r que les
horaires d'histoire, dans les nouveaux programmes, ne soient pas r�duits.
Certains craignent m�me que l'histoire, comme les arts plastiques ou la
musique, ne soit rel�gu�e dans les mati�res � option : � L'introduction
� l'�cole �l�mentaire des langues vivantes et de la technologie exige des
coupes claires ailleurs, annonce une responsable d'IUFM. L'histoire
est directement menac�e. � Des programmes all�g�s (au mieux !), des ma�tres
encore moins bien form�s, des �l�ves encore plus ignorants et, dans le second
cycle, moins capables d'assimiler des connaissances encore plus condens�es et
souvent biais�es : c'est toute la m�moire d'une jeunesse qu'en fid�les h�ritiers
de Guy Mollet les faussaires en place manipulent. � La d�colonisation,
la guerre d'Alg�rie, c'est un peu comme une �toile qui s'�loigne, conclut
un enseignant, ce n'est d�j� plus qu'un point dans le ciel. � Un
point, si toutes choses demeurent �gales, que demain on ne verra plus.
|
|