SOCIETE FRANCO-ALGERIENNE DE PSYCHIATRIE |
Premier Congr�s Franco-Alg�rien de psychiatrie (3-4 octobre 2003,
Paris)
Pour sa femme, Roger semblait maintenant "aller mieux". Retrait� depuis quelques mois, il �tait venu consulter, sur l'insistance de son �pouse, pour des sympt�mes d�pressifs s�v�res survenus progressivement depuis sa cessation d'activit�. Gr�ce au traitement, cet ouvrier sp�cialis� affirmait " s'�tre vite ressaisi", "ne plus se sentir inutile et pesant pour sa famille", avoir moins peur de "ne pas y arriver avec sa petite retraite". Dans la mesure o� il avait repris son activit� de bricolage, ne passait plus son temps � se plaindre de troubles somatiques aussi divers que vari�s et avait recouvr� un certain app�tit, son �pouse attentionn�e se sentait tout � fait rassur�e. Pourtant, il ne f�t pas tr�s difficile de faire raconter � cet homme les nombreux troubles persistants qui continuaient � lui g�cher la vie: "c'est surtout le sommeil, docteur" s'empressant d'ajouter: "De toute fa�on, je n'ai jamais bien dormi; c'est depuis l'Alg�rie", puis, apr�s un silence un peu embarrass� tout en tripotant sa casquette d'un air penaud comme pour s'excuser d'�voquer ce mauvais souvenir, il bredouilla: "toutes les nuits depuis quarante ans, je cauchemarde en revoyant les corps mutil�s; j'�tais brancardier, alors forc�ment �" Peu � peu, se d�faisant de son apparente placidit�, il �num�ra tous les sympt�mes de cet �tat de stress post-traumatique qui avait hant� sa vie depuis si longtemps et dont il n'avait jamais parl� � personne. Ces ann�es pass�es � se poser une question sans r�ponse "qu'allait-on faire l�-bas?" La psychiatrie fran�aise, comme l'alg�rienne, n'est jusqu'� ce jour pas beaucoup plus loquace, sur ce sujet douloureux, que cet ancien appel� du contingent. Alors que la r�flexion clinique sur le psychotraumatisme occupe depuis toujours le champ de la psychopathologie, les cons�quences m�dico-psychologiques de la guerre d'Alg�rie semblent ne pas pouvoir s'exprimer. Pourtant, les victimes civiles de catastrophes, les militaires expos�s � des faits de guerre, les r�fugi�s, les transplant�s� sont l'objet d'une bienveillante attention de la part des professionnels de la sant� mentale et des milliers de publications scientifiques leur sont consacr�es. On ne compte plus les articles sur les v�t�rans des guerres de Cor�e, du Vietnam (l'am�ricaine), du Golfe� Le travail de m�moire souffrirait-il d'amn�sie s�lective? Les soldats fran�ais, les combattants du FLN, les harkis, les rapatri�s, les femmes veuves, les victimes de s�vices sexuels, les orphelins n'auraient-ils pas droit � la m�me compassion que tous les "bless�s de la vie" par inondation, accident ferroviaire, famine, attentats, guerre civile? Ce premier congr�s franco-alg�rien devra donc tenter d'expliquer ce refoulement collectif et d'analyser sereinement les d�terminants des cons�quences psychotraumatiques de ces �v�nements qui mirent tant de temps � se reconna�tre pour ce qu'ils furent. Cette anomie persistante, les passions toujours vives sur ce sujet, l'�vitement, le d�ni, la peur, les rites, la culpabilit�, le retour du refoul�, tous ces maux qui qualifient notre conscience collective � propos de l'histoire commune franco-alg�rienne ne peuvent que retenir l'attention des psychiatres. Au-del� donc du th�me du psychotraumatisme li� � la guerre d'Alg�rie, ce congr�s s'ouvrira � des interventions multidisciplinaires, historiques, sociologiques et anthropologiques. Professeur Fr�d�ric Rouillon, Pr�sident du Congr�s |