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SOCIETE FRANCO-ALGERIENNE DE PSYCHIATRIE

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De gauche � droite : les professeurs Khaled Benmiloud et Mahfoud Boucebci

Hommage au Professeur Khaled Benmiloud

Par ses �l�ves et amis BAKIRI, KACHA, RIDOUH, Amine Khaled

Khaled BENMILOUD est d�c�d� vendredi 25 juillet 2003. Il fut le premier psychiatre de l'Alg�rie ind�pendante, en 1962.

La psychiatrie alg�rienne a h�rit� au lendemain de l'ind�pendance de 6000 lits � travers le pays et pas un seul m�decin psychiatre. A cette �poque, on voyait dans les h�pitaux psychiatriques, une sorte d'asile de fous furieux. Benmiloud a humanis� la discipline. Il a r�ussi � se d�faire des trois pavillons Charcot, Pinel et Broussais tombant en ruine, de l'arri�re ban de l'h�pital Mustapha et remonter l'all�e jusqu'au bout pour refonder la clinique universitaire de psychiatrie d'Alger dans des locaux clairs, humainement viables, le pavillon Ibn Imrane.

Benmiloud �tait un homme de culture, un ami et compagnon proche de M'hamed Issiakhem, Kateb Yacine et Malek Haddad. Benmiloud �tait brillant, remarquable quand il �voquait les probl�mes sociologiques du pays. Il avait une profonde connaissance de son peuple. La certitude de sa m�moire, les �vocations historiques, les r�f�rences gr�co-romaines, mais surtout arabes, en faisait un homme qu'on aimait �couter. Il a �t� l'instigateur du premier congr�s de psychiatrie tenu � Jijel en 1969.

Il �tait aussi derri�re la premi�re promotion de psychiatres dans l'histoire de l'Alg�rie qui a investi, d�s 1971, les diff�rentes cliniques et h�pitaux � travers le pays.
Tous les professeurs exer�ant actuellement ont �t� ses �l�ves de Kacha � Bakiri en passant par Tedjiza, Boudef et Ridouh. Au cours du s�minaire sur la r�forme de la justice, l'homme � la blouse blanche avait subjugu� son auditoire, compos� de robes noires, magistrats, avocats et juristes, par sa connaissance du terrain carc�ral.

Personnalit� puissante, esprit clair, mais connu et redout� aussi pour sa fermet� et son courage lorsqu'il s'agissait de ne pas conc�der une parcelle de son honneur ; il l'a d�montr� (malheureusement pour la psychiatrie) lors de son opposition au ministre de la sant� de l'�poque, avec une d�mission extr�mement pr�matur�e. Il rejoint son village natal, Ain Sefra pour une vie intellecto-pastorale et trouver le repos dans ce d�sert qui le fascinait

Hommage au Professeur Khaled Benmiloud

Par le professeur M.�Tedjiza Chef de service � l�h�pital psychiatrique universitaire Drid Hocine - Kouba � Alger 26 juillet 2005

Du p�re terrible de la psychiatrie alg�rienne au digne repr�sentant de l�authentique humanisme alg�rien

"Je suis un fils de paysan", aimait � r�p�ter souvent cet enfant de propri�taire terrien, issu d�une lign�e de notables de l�oasis de Tiout, pr�s de A�n Sefra, descendant de l��mir Benyoucef, l�illustre conqu�rant qui, en son temps, avait islamis� les tribus berb�res de la Saoura. A la rem�moration de ces espaces infinis semi-arides, o� les vastes �tendues de alfa ondulaient � perte de vue sous le vent du Sud, et � la simple �vocation de la beaut� grandiose des nuits sahariennes, il �tait parcouru d�une singuli�re �motion esth�tique m�lant ravissement et fiert�, nostalgie et m�lancolie.

Cet enfant du pays ressentait un attachement quasi charnel � sa terre natale et vouait un culte profond et sinc�re � la m�moire de ses anc�tres. C�est que n�ayant point connu sa m�re, d�c�d�e � sa naissance, il se prit d�affection de tout cet amour laiss� intact qu�il transposa sur eux, dont le symbole restait la demeure familiale dans son cadre naturel, v�ritable m�re id�ale, sublim�e et d�sincarn�e. Ce fut, semble-t-il, un enfant difficile, dou� et r�volt�, qui posa bien des probl�mes � son p�re, Si Khelladi. Les souvenirs d�enfance, qui revenaient souvent dans ses propos, �taient les interminables vacances d��t� pass�es � �tudier le Coran dans la zaou�a de ses a�eux, en tenue traditionnelle et les cheveux coup�s � ras, ponctu�s toutefois de s�jours bien plus agr�ables et divertissants dans leur r�sidence secondaire de Tlemcen. Puis ce fut l�internat au lyc�e d�Oran, p�riode aust�re, dont il n�a pas gard� un souvenir particuli�rement heureux, marqu�e par une scolarit� pas toujours tr�s studieuse, la pratique du football et l��veil de la conscience nationaliste. Viendront ensuite les ann�es de m�decine � Paris, les farces de carabins chez cet �tudiant frondeur et espi�gle, friand de litt�rature et de philosophie, ami d�artistes tels Issiakhem le peintre ou Malek Haddad le po�te, ses compagnons d�infortune.

Les camarades d��tudes, dont il parlait souvent et avec lesquels il �tait li� par une amiti� sans faille qui durera toute sa vie, �taient Omar Boudjellab, Mohamed Redjimi et Saddek Bedali-Amor, tous trois futurs professeurs en m�decine de l�Alg�rie ind�pendante. Il avait �t� attir� un temps par la mouvance politique d�extr�me gauche, avant de c�der au r�alisme politique et � l�exigence historique du nationalisme. Durant les ann�es de la R�volution, ce fils et petit fils de bachagha s��tait fait un point d�honneur de s�exiler hors de la terre de la puissance coloniale. Ce fut en Suisse qu�il s�en alla suivre sa formation de psychiatre, � la clinique Bel Air de Gen�ve, sous la f�rule de son ma�tre, J. de Ajuriaguerra, tout en �tant secr�tement affili� au FLN, pour le compte duquel il militait discr�tement.

Qu�il �tait grand l�espoir, ce jour de l��t� 1962, quand le laur�at, fra�chement promu, promis � un avenir radieux, rentrait au pays triomphalement � bord d�une grande Mercedes flambant neuve, pour laquelle il avait mis jusqu�au dernier centime de ses �conomies afin d�offrir � son p�re la voiture dont il �tait digne, et que ce dernier, grand seigneur, lui c�dera � son tour. Tel Prom�th�e ravissant le feu sacr� aux dieux de l�Olympe, l�enfant de A�n Sefra rentrait chez lui apr�s un exil dur et forc� mais f�cond, car il ramenait avec lui la science qu�t�e en terre d�Occident. Et pour cause, il n��tait rien moins que le premier psychiatre alg�rien, celui qui allait �tre � l�origine d�une descendance prolifique et presque tous les praticiens de la sp�cialit� lui seront redevables, directement ou indirectement, de cette filiation patrilin�aire.

Chef de service des urgences psychiatriques du CHU Mustapha � Alger-Centre qu�il cr�era pratiquement ex-nihilo, il �tait �galement m�decin-chef de l�h�pital Drid Hocine de 1967 � 1976, et depuis m�decin-directeur jusqu�au d�but de l�ann�e 1984, r�gnant ainsi en despote �clair� sur toute la psychiatrie de l�Alg�rois. Il �tait second� par son fid�le complice et ami de toujours, le professeur Pierre Laborde, Bordelais de naissance, Alg�rois d�adoption et Alg�rien de c�ur, d�c�d� peu de temps avant celui qu�il consid�rait toujours comme son ma�tre, bien que son cadet de deux ans. Du reste, ce dernier le lui rendait bien, par le respect et l�estime qu�il lui a toujours manifest�, mais �galement par la protection dont il l�avait constamment entour�, ainsi que la confiance qu�il avait en lui, lui accordant m�me un statut privil�gi� par rapport � celui de ses autres collaborateurs, ressortissants nationaux.

Durant cette p�riode, outre qu�il avait mis en place toutes les modalit�s fonctionnelles du dispositif psychiatrique de l�Alg�rois, avec son intersecteur comprenant un service d�urgence, un h�pital avec son centre de jour et ses dispensaires � la rue Horace Vernet et au boulevard Victor Hugo � Alger-Centre, � El Biar, � Oued Oucha�ah, � Kouba et � La Haute Casbah, mais �galement deux services de d�gagement aux deux points cardinaux de la wilaya, � Th�nia et � Kol�a, pour les longs s�jours en post-cure. Il avait reconstruit pour cela Drid Hocine de fond en comble en l�agrandissant et en le r�am�nageant totalement pour le rendre conforme aux exigences de son mod�le de fonctionnement id�al. De la modeste clinique l�Ermitage, petit �tablissement colonial priv�, il avait fait un grand h�pital universitaire, l�institution-m�re et le premier centre de formation psychiatrique de la jeune R�publique alg�rienne.

Lui, l��l�ve de J. de Ajuriaguerra, grand ma�tre de la p�dopsychiatrie, il avait cr�� le premier service d�hospitalisation � temps plein pour les enfants, � Drid Hocine, avant de se raviser et de transf�rer ses activit�s dans une structure de jour, � temps partiel. Dans cette t�che gigantesque, il sera aid� par son ami de toujours, le professeur Omar Boudjellab, promu au rang de ministre de la Sant� et qui s�av�rera �tre un authentique bienfaiteur de la psychiatrie et de la sant� mentale. Il b�n�ficiera �galement des conseils avis�s et du soutien d�un de ses autres amis, Tahar Hocine, ex-directeur du CHU Mustapha, actuellement en retraite.
On lui doit de la m�me fa�on, la cr�ation de la clinique de Ch�raga sur les d�combres d�une ancienne clinique de pneumophtisiologie dynamit�e par l�OAS, et qui a longtemps fonctionn� comme centre de cure psychiatrique et de repos de la Casoral, l�ancienne caisse de s�curit� sociale si�geant � Alger, avant de devenir l�h�pital universitaire de psychiatrie que l�on conna�t.

De la m�me fa�on, c�est � lui que revient le m�rite d�avoir con�u et inspir� l�institutionnalisation, du premier CES de psychiatrie, � la facult� de m�decine d�Alger en 1969, en s�inspirant de l�exemple fran�ais apr�s les �v�nements de mai 1968 et la scission entre neurologie et psychiatrie, et en s�aidant de relations privil�gi�es qu�il entretenait avec le ministre en charge des Affaires de l��poque. Cela n�a pas �t� une mince affaire, loin s�en faut, car il a fallu d�abord s�imposer dans un espace laiss� vacant puis occup� par une pl�thore de coop�rants techniques, affronter l�adversit� et surmonter bien des emb�ches, dues aux convoitises des uns, � la jalousie des autres, maintenir le cap et pers�v�rer dans l�entreprise jusqu�� amarrer le navire � bon port. Cela lui avait du reste valu une solide r�putation de bagarreur farouche et ombrageux qui, jointe � une facilit� d�concertante � r�soudre des probl�mes techniques ou administratifs, une certaine virtuosit� dans l�expression �crite et l��loquence avaient fini par agacer plus d�un et faire grincer bien des dents.
C��tait en ces temps-l� qu�il recevait r�guli�rement le philosophe fran�ais Francis Jeanson, de ses amis, qui animait un s�minaire sur la r�habilitation des patients en milieu urbain, selon une approche transdiciplinaire, ainsi que maints autres conf�renciers de renom.
Je garde en m�moire une de ses interventions, parmi tant d�autres, � l�occasion de laquelle et pour les besoins du d�bat, il avait improvis� une conf�rence cursive sur la ph�nom�nologie de la conscience, petit chef-d��uvre du genre, digne de figurer dans la meilleure anthologie.

C��tait �galement l��poque o� habitant Drid Hocine et �tant mon voisin, il lui arrivait d�armer son fusil de chasse et de d�cocher des tirs de sommation pour faire fuir ch�vres et �nes qui, venant de l�ex-bidonville du plateau des Anasser, l� o� se dresse l�actuel Palais de la culture, d�fon�aient la cl�ture sup�rieure et s�infiltraient � l�int�rieur de l�enceinte de l�h�pital pour y pa�tre, en toute qui�tude. Une fois, je me rappelle m�me qu�il s�en �tait all� chez ses amis Puciers de Oued Kniss, car la brocante et les antiquit�s constituaient une de ses autres passions, acheter des pi�ges � loups, et qu�il m�entra�na avec lui pour les poser sur les lieux de passage du b�tail. Nous ne les rev�mes jamais, car les propri�taires des b�tes, qui nous guettaient discr�tement pendant tout ce temps-l�, eurent beau jeu de les d�samorcer et de les d�terrer all�grement, sit�t que les lieux quitt�s.

Par ailleurs, une des caract�ristiques essentielles de cette personnalit� attachante et fid�le en amiti� �tait cette �rudition incommensurable qui portait, � peu pr�s, sur tout ce que l�esprit humain �tait en mesure d�embrasser. Critique d�art pictural � l�occasion, fin connaisseur et collectionneur lui-m�me, il savait, le cas �ch�ant, conseiller ses amis artistes. Ainsi, un jour de passage en voiture par le boulevard Amirouche, � hauteur du restaurant universitaire, il s��tait fait h�ler par son ami Issiakhem qui en sortait. Ce dernier lui montra sa derni�re toile et sans descendre de voiture s�en saisissant � bout de bras et en en renversant deux � trois fois de suite la perspective, il lui conseilla de l�appeler Oceano Nox, la nuit oc�ane, d�apr�s le c�l�bre po�me de Victor Hugo, et cela du fait de la forte dominante bleut�e baignant toute la toile, lui conf�rant un aspect aquatique.

De la m�me fa�on, � l�improviste, il �tait capable de r�citer de m�moire des tirades enti�res de la chanson du Mal-aim� d�Apollinaire ou du Cimeti�re marin de Val�ry, ainsi que des pages enti�res du Quai aux fleurs ne r�pond plus de son ami Malek Haddad, ainsi que de tant d�autres, modernes et classiques. Dans un registre voisin, il lui arrivait d��crire assez fr�quemment, des articles dans la presse. Il passait alors, avec un �gal bonheur, du langage des fleurs et de ses subtiles significations dans les r�gles du savoir-vivre � la prodigieuse �pop�e de la mystique musulmane, le Tassaw�f, de sa premi�re aurore et de son envol originel � son essor universel actuel, en passant par une �tude de l�intellectuel alg�rien, de sa fonction sociale et de ses rapports � la culture, l�id�ologie et l�ordre sociopolitique, un de ses premiers �crits journalistiques. A un moment, fortement impressionn� par le film de Luchino Visconti Le Gu�pard, et m�en �tant ouvert � lui, il me parla longuement de l��uvre de Tomaso Di Iampeduzza, lui-m�me authentique prince de rang, qui avait servi � l�adaptation cin�matographique, de la dynastie normande des princes de Sicile, qu�ils prirent aux Arabes au XIIe si�cle. Quelques jours plus tard, il m�offrit l�unique exemplaire qu�il poss�dait du livre.

Tr�s exigeant, d�abord envers lui-m�me, il l��tait �galement envers les autres et sans �tre un for�at du travail, il aimait � se d�finir lui-m�me, non sans humour et avec un certain sens de l�autod�rision, comme un ��cossard��. N�anmoins, cette discr�te tendance � la paresse �tait servie par un esprit m�thodique, perspicace et sagace, mais surtout terriblement efficace et il avait donc largement les moyens de cultiver sa petite faiblesse. Il savait �tre, par moments, un g�nial improvisateur, capable de fulgurations d�esprit �blouissantes et de r�parties cinglantes.
Une fois, invit� par son ma�tre � Gen�ve en 1973, � l�occasion d�un congr�s de psychiatrie l�gale, et ayant eu � exposer ses positions doctrinales et sa praxis sociale sur les mesures d�internement et la d�fense sociale, il fut vivement pris � parti par Franco Basaglia, de l�h�pital Gorizia de Trieste, le c�l�bre chef de file du courant politichiatrique de l�anti-psychiatrie. Le d�bat qui s�ensuivit fut, semble-t-il, un moment d�une rare densit� intellectuelle.
On lui doit �galement une �uvre de la maturit�, con�ue apr�s son d�part en retraite, la raison paramagique, qui peut �tre consid�r�e tout simplement comme un trait� d�histoire de la philosophie naturelle de l�esprit, d�admirable facture et donnant la pleine mesure de sa parfaite connaissance des grands classiques. On ne saurait terminer sans �voquer K. Benmiloud, l�auteur du sc�nario du film d�Akiki, L�Olivier de Boulhilet, sorte de conte populaire moderne se basant sur une r�alit� sociologique, culturellement et historiquement d�termin�e, anim�e d�un lyrisme exalt� et mystique, en faisant une �uvre d�une souveraine beaut�.

Quoi dire d�autre sinon que le professeur K. Benmiloud est mort deux fois. Il est d�abord mort pr�matur�ment � la psychiatrie � l��ge de 53 ans, lors de son d�part forc� en retraite anticip�e, � la suite d�un s�rieux diff�rend l�opposant au ministre de la Sant� de l��poque, et alors que son sens de l�honneur ne lui permettait pas de rester en fonction. Il est mort �galement, mais pour de vrai cette fois-ci, ce triste jour de l��t� 2003, alors que rien ne le laissait pr�sager, fermant ainsi une double parenth�se, celle de sa vie ouverte 72 ans plus t�t, et celle de la maturit� professionnelle apr�s son retour d�exil, ouverte 40 ans plus t�t, et qui n�aura pas tenu toutes ses promesses.

Quand ce jour de juillet 2003, on m�informa juste avant son enterrement par un appel t�l�phonique presque anonyme, pendant ses obs�ques, je ne pus m�emp�cher de penser qu�il �tait parti comme il avait v�cu, dans la discr�tion la plus pudique et la r�signation la plus sto�que, en essayant, comme toujours, de ne d�ranger personne. Adieu l�artiste, le philosophe, le po�te et le mystique, vous, le m�decin-psychiatre qui ne se prenait jamais vraiment au s�rieux, et qui � la fin de sa vie portait sur le monde ce regard � la fois lourd d�insistance et per�ant d�application, d�une lucidit� sans complaisance, mais avec une sympathie pleine d�indulgence, d�nu�e de toute amertume et ranc�ur, qui l�avait amen� � cette s�r�nit� int�rieure et � cet apaisement ext�rieur, et qui lui faisait envisager la perspective de sa propre finitude, sans angoisse ni d�sespoir m�taphysique. Puissiez-vous, cher ma�tre, en votre derni�re demeure, trouver le sommeil du juste, vous qui en aviez �t� tant priv� de votre vivant, et puissiez-vous �galement, l� o� vous �tes, parvenir � la certitude � laquelle vous aspiriez tant, ici-bas.

Par le professeur M.�Tedjiza Chef de service � l�h�pital psychiatrique universitaire Drid Hocine - Kouba � Alger 26 juillet 2005

Santemaghreb.com

Le Professeur Khaled Benmiloud est n� en 1930 � Ain-Sefra (Sud-ouest de l'Alg�rie). Il a fait le coll�ge � Tlemcen et le lyc�e � Oran. Il a obtenu le Doctorat en M�decine � Paris, le Dipl�me de Psychiatrie � Gen�ve et l'Agr�gation de M�decine � Alger. Il a �t� Professeur � la Facult� de M�decine d'Alger et M�decin-chef de la Clinique Universitaire de Psychiatrie d'Alger.

DISPARITION DU PROFESSEUR KHALED BENMILOUD / LA PSYCHIATRIE ALG�RIENNE PERD SON PR�CURSEUR


Auteur : Amine Khaled

Khaled Benmiloud est d�c�d� le vendredi 25 juillet 2003. �Il est parti dans une grande discr�tion, comme il a v�cu�, t�moignent ceux qui l�ont connu. Il fut le premier psychiatre de l�Alg�rie ind�pendante, en 1962. Sa vie professionnelle, il l�a vou�e � la psychiatrie hospitali�re, d�une part, et � la psychiatrie universitaire d�enseignement et de formation de praticiens sp�cialis�s, d�autre part. �La carri�re de Benmiloud �tait intense : elle a �t� pr�matur�ment et d�lib�r�ment interrompue par une retraite souscrite bien avant le terme r�glementaire�, a indiqu� le professeur Abdelfettah Bakiri, un de ses disciples. La psychiatrie alg�rienne a h�rit� au lendemain de l�ind�pendance de 6000 lits � travers le pays et pas un seul m�decin psychiatre. �A cette �poque, on voyait dans les h�pitaux psychiatriques une sorte d�asiles de fous furieux. Benmiloud a humanis� la discipline�, rappelle Farid Kacha, pr�sident de la Soci�t� alg�rienne de psychiatrie. Parmi les m�rites du pr�curseur de la psychiatrie alg�rienne, ceux qui consistaient surtout � �rattraper l�h�ritage absent des psychiatres fran�ais�. �Ils avaient vite fait d�abandonner � leur sort les "indig�nes pal�ophr�nes, criminels-n�s", � leurs obscures d�rives� La gageure a consist�, en premier lieu, � se d�faire des trois pavillons, Charcot, Pinel et Broussais, plus ou moins cellulaires, tombant en ruine, de l�arri�re ban de l�h�pital Mustapha Bacha et remonter l�All�e, jusqu�au bout pour refonder la clinique universitaire de psychiatrie d�Alger, dans les locaux clairs humainement viables, le pavillon Ibn Amrane, le symbole et le programme�, t�moigne Abdelfettah Bakiri. Khaled Benmiloud �tait un homme de grande culture, ami et compagnon proche de M�hamed Issiakhem, Kateb Yacine et Malek Haddad. �Issiakhem a �t� form� comme Malek Haddad et Kateb Yacine � l��cole de la solidarit� avec le peuple. Nous �tions tous � dix douze ans des nationalistes. On d�couvrait que notre ennemi �tait le colonialisme et la mis�re. On d�couvrait un peu plus tard le marxisme, Mao, la grande marche... On chantait m�me la mis�re�, avait �crit Benmiloud au lendemain de la mort d�Issiakhem. C��tait justement pour rappeler, pour ne pas oublier, que des hommes comme eux �taient forts surtout par leur attachement � leur peuple, � leur terre. Benmiloud �tait aussi derri�re la formation, � partir de 1968, de la premi�re promotion de psychiatres dans l�histoire de l�Alg�rie. Une promotion de porteurs de Certificat d��tudes sp�cialis�es (CES), qui a investi, d�s 1971, les diff�rentes cliniques et h�pitaux � travers le pays. �Elle s�est d�s le d�part d�marqu�e, s�par�e de la neurologie qui avait jusque-l� exerc�, dans le mod�le fran�ais notamment, une certaine tutelle g�nante sur notre discipline � travers le classique certificat de sp�cialit� de neuro-psychiatrie�, �crit Bakiri, sur la teneur de cette formation. En 1969, un premier congr�s de psychiatrie est tenu � Jijel. Benmiloud �tait son instigateur. Et ce n��tait pas rien, vu les priorit�s de l��poque et le manque accablant de cadres sp�cialis�s. Avant de s�en aller, Si Khaled (comme l�appelaient ses proches) a rejoint son village natal, � l�extr�me-ouest du pays, pour cultiver la terre et faire pousser des arbres, et trouver le repos dans ce d�sert qui l�avait toujours fascin�. �Un d�sert qui le fascinait par son temps et son espace.� Il est parti chercher le repos �ternel.

El Watan

PSYCHIATRIE / � la m�moire du Pr Khaled Benmiloud

La Soci�t� alg�rienne de psychiatrie a honor� la m�moire du professeur Khaled Benmiloud jeudi dernier � l�h�tel Sofitel. Reconnu comme l�un des p�res fondateurs de la psychiatrie alg�rienne, plusieurs professeurs et m�decins sont venus t�moigner de cet homme �d�une extr�me honn�tet� et d�une extr�me intransigeance�.

Ils sont venus se rem�morer les instants pass�s aupr�s de l�ami, le psychiatre et l�homme de c�ur qu�il fut. C�est lui qui a organis� pratiquement la psychiatrie moderne dans notre pays. C�est encore lui qui a cr�� la premi�re sp�cialit�, confectionn� le premier programme et sorti la premi�re promotion de psychiatres maghr�bins. Il a en outre organis� la formation de psychologues cliniciens dans les h�pitaux psychiatriques en modernisant cette discipline dans notre pays. �On ne voulait pas que son nom soit oubli�, on voulait organiser cette journ�e pour essayer de faire comprendre son �uvre, sa pens�e et faire le bilan de sa vie professionnelle�, a d�clar� le pr�sident de la Soci�t� alg�rienne de psychiatrie. Deux propositions ont �t� faites pour immortaliser son �uvre : donner son nom � un service de psychiatrie et organiser un prix annuel Khaled Benmiloud pour r�compenser les travaux les plus int�ressants. Le moment fort de cet hommage a �t� la pr�sentation succincte de son livre La Raison paramagique, un essai philosophique exempt de banalit�s qui tente d�expliquer la mentalit� du sous-d�velopp�. Le temps est v�cu comme une astreinte et pas comme une possibilit� de changer, d�avancer et d�agir sur le monde. Le pass� est r�duit � un souvenir sans consistance. La vie du tiers monde, c�est une destin�e qui n�a rien � son horizon. A ses yeux, il n�y a pas de progr�s partiel. Le d�veloppement est possible si tout l�environnement suit l��volution. Il constate �un vide sentimental� malgr� la richesse des rapports humains. La raison paramagique n�a pas de cachet d�universalit�. L�homme sous-d�velopp� vit dans un univers �d�oubli, de fausses reconnaissances et de fabulation�. Dans ces pays, on �vite de penser, de se rappeler ou plut�t, il est permis de penser � condition qu�on pense tous la m�me chose et qu�on a tous un seul id�al. Une analyse qui trouve toute son acuit� dans l�actualit�. L�identification se fait par rapport � la famille, � la tribu ou au lieu de naissance, �ce qui peut expliquer en partie par exemple la crise identitaire en Alg�rie�, commente un participant. Il �tait l�ami de Kateb Yacine, de Malek Haddad et du peintre M�hamed Issiakhem. Il avait �crit le sc�nario du film L�Olivier de Boulhilet de Mohamed Bouamari, tourn� dans les ann�es 1970. La certitude de sa m�moire, les �vocations historiques, les r�f�rences gr�co-latines et arabes, en faisaient un homme qu�on aimait �couter.

Par Kamel Benelkadi

El Watan 28 f�vrier 2004

De gauche � droite : les professeurs F. Kacha, K. Benmiloud et M. Tedjiza (D�cembre 1983)

LE PROFESSEUR KHALED BENMILOUD N'EST PLUS / Requiem � un grand esprit

Ainsi va notre r�gression. Il n'y a pas lieu de nous �crier comment se peut-il ? C'est normal. Dans le d�luge de notre procession inconsciente vers les t�n�bres, nous avons �t� dupes, cyniques ou l�ches lorsque nous avons pli� l'�chine devant la fatalit� de notre destin. Il est donc normal que le professeur Khaled Benmiloud nous quitte pour le royaume des cieux dans une indiff�rence quasi g�n�rale.

Car le professeur Benmiloud fut, d'un point de vue symbolique, l'exact contraire des chim�res que sont devenues h�las nos valeurs. L'intelligence contre l'opportunisme. La g�n�rosit� contre le tribalisme. La science � l'odeur de jasmin contre le gain indu naus�abond. Mais lamentation et amertume face � l'ingratitude sont les pi�ges � �viter. Car en y c�dant, on d�nie de nouveau au d�funt la reconnaissance qui a le plus cruellement fait d�faut apr�s son d�c�s. Seul l'optimisme, ou, pour ne pas tomber dans les travers de la na�vet� et en reprenant le terme lucide d��mile Habibi, seul le pessimisme, c'est-�-dire seul l'optimisme temp�r� par le pessimisme que nous impose notre r�alit�, peut nous guider afin d'atteindre, ne serait-ce que sur le plan discursif, les multiples objectifs que nous fixe le d�c�s d'un homme de valeur : l'hommage le plus r�v�rencieux, certes, mais aussi et peut-�tre surtout une r�flexion, aussi modeste soit-elle, sur notre r�alit� et l'esquisse d'une trajectoire orient�e vers une Alg�rie meilleure, une Alg�rie o� la m�diocrit� cesserait d'�tre une valeur de fait et deviendrait le pire des anath�mes. La sagesse de notre culture elle persiste, � peine visible, voil�e par les ombres de notre m�diocrit� me fait dire traduit de l'arabe : �Que celui qui m'a appris une lettre soit assur� de ma sollicitude ma vie durant.� On l'aura compris, mon hommage n'est pas celui d'un ami chagrin de la perte d'un �tre cher � son c�ur. Je n'ai jamais eu le plaisir de conna�tre le d�funt autrement qu'� travers ses textes et les quelques �crits diss�min�s �� et l�, qui m'ont permis de conna�tre certains aspects de sa personnalit� dont, par-del� tout le reste, son amour des lettres et de l'art. Mon hommage se doit d'�tre par cons�quent en r�sonance avec une attitude qui cela rel�ve de l'�vidence �tait la sienne, celle du questionnement. Ce qui m'am�ne � poser la question et � m'inviter ainsi que les lecteurs � la m�diter : pourquoi le professeur Benmiloud fut un psychiatre diff�rent ? Je ne dis pas meilleur ou pire, mais diff�rent. Une certaine id�e de la modernit� a dot� la psychiatrie de sa grandeur et de sa mis�re � la fois. Sa grandeur, en ce qu'elle a fait de la folie une maladie comme les autres en la soustrayant aux sch�mes interpr�tatifs mythiques de la pr�modernit� qui, souvent, la confinaient dans une sorte d'immanence � des forces paranormales, voire sataniques. Sa mis�re, car en faisant de la folie une maladie comme les autres, la modernit� a longtemps circonscrit la th�rapie psychiatrique � la m�dication chimique, les progr�s en biopharmacologie aidant. Le milieu du malade mental, en tant que source potentielle de la maladie et en tant que facteur possible de th�rapie, est tout simplement ignor�, l�gu� aux confins du fantaisiste, du non-scientifique, du peu rigoureux. Obnubil� par ces certitudes dogmatiques, le psychiatre est devenu un administrateur de pilules. Sans nier l'am�lioration de la th�rapie qui en a d�coul�, force est de constater aussi qu'en agissant de la sorte, la psychiatrie s'est priv�e elle-m�me d'un pr�cieux outil de compr�hension et d'intervention. D'autant plus que la psychiatrie a ni� la persistance, quand bien m�me sous forme d'une trace mn�sique, des croyances populaires assimilant la folie � des facteurs mal�fiques. On comprend d�s lors pourquoi le psychiatre n'est psychiatre que s'il est en m�me temps un ethnologue, pr�cis�ment un ethnopsychiatre. L'universalit� de la th�rapie n'a donc plus de sens, du moins pas le sens plein qui fut le sien � un moment donn�. Le professeur Benmiloud l'a t�t compris et en a mesur� la port�e : sa science ne devait en aucun cas se limiter aux l�sions organiques, quelles que fussent les progr�s des neurosciences. L'objet de sa science ainsi ouvert, le professeur pouvait adh�rer � la r�habilitation du milieu du malade comme partie int�grante du malade lui-m�me. Et c'est dans cette perspective pr�cis�ment qu'il a pu insister dans l'un de ses textes sur l'ab�me qui s�pare la connaissance scientifique (essentiellement biom�dicale) de la folie et les croyances populaires qui l'entourent et qui assimilent la folie � �la possession d�moniaque� et son soulagement � �l'exorcisme�. Et le professeur de relever : �La psychiatrie en tant que science et action m�dicales, demeure souvent impuissante � dissiper ce pr�jug� qui constitue un v�ritable handicap dans son exercice. C'est que pour agir � des fins th�rapeutiques, elle a besoin de ce milieu humain qui est � la fois, son instrument et sa finalit�.� Il est vrai que la psychiatrie serait de loin plus efficace, si elle ne devait pas composer avec cet aspect contingent des choses. Or, il n'en est rien et n'en sera rien longtemps encore, quoi qu'en pensent les puristes. Car le rapport des sains d'esprit � la folie des autres est empreint de fa�on ind�l�bile d'une angoisse existentielle relevant presque de l'ontologie humaine : �La folie de l'autre, �crit le professeur, celle qui est devant nous, r�veille celle que l'on craint �tre en nous, ou qui est connue de nous comme �tant en nous. Cette angoisse de la folie en nous entretient cette peur de la maladie mentale, peur qui � l'origine, reposait sur la croyance en l'immanence d'esprits mal�fiques.� L'une des erreurs de Descartes relev�e avec force par Michel Foucault dans Histoire de la folie � l'�ge classique fut d'avoir profess� une n�gation mutuelle nette et radicale entre �raison et folie�.
Entre raison et folie
La �raison� d�finie comme le contraire irr�ductible de la folie et vice versa, m�me si elle a le m�rite et l'audace ind�niables de faire de la folie une maladie non une mal�diction, souffre cependant d'un simplisme porteur de deux abstractions abusives concomitantes : une abstraction de la complexit� de la maladie mentale et une abstraction de notre rapport � la folie lorsque nous n'en sommes pas atteints. Un point fondamental rapproche le professeur Benmiloud de Michel Foucault : l'�vidence de la fronti�re floue entre �raison� et folie. Un flou qui gagne un surcro�t d'opacit� d�s l'ajout du facteur environnemental. Le parricide de Pierre Rivi�re remontant � l'an 1836 dont Michel Foucault a red�couvert le m�moire et l'a publi� un si�cle et demi plus tard sous le titre Moi Pierre Rivi�re, ayant �gorg� ma m�re, mon fr�re et ma s�ur en est un cas d'�cole. Aucun psychiatre scientiste ne peut dire avec certitude que le malheureux Rivi�re aurait �t� pris du m�me acc�s de d�mence et aurait commis son triple crime odieux de la m�me mani�re qu'il le fit s'il n'�tait pas n� dans la famille Rivi�re, s'il n'avait pas eu les parents qu'il a eus, s'il n'avait pas surtout v�cu dans la province fran�aise � une �poque o� les gazettes populaires exaltaient de fait le m�me genre de forfaits immondes en les ressassant ad nauseam. Il en est de m�me des actes barbares commis dans notre pays depuis le d�but des ann�es 1990. Que l'on ne se m�prenne pas sur mes intentions. Je ne veux pas attribuer ce point de vue au professeur Benmiloud directement. Je crois seulement qu'un tel point de vue concorde avec la psychiatrie telle qu'il la concevait. L�, le facteur structurant �tant le martelage de r�cits macabres par les gazettes, ici une �raison� paramagique o� le mythique l'a emport� pour diff�rentes raisons sur le rationnel. Cela me semble coh�rent. En revanche, ce qui s�pare le professeur Benmiloud d'un Michel Foucault est bien plus profond. Outre le fait �vident que le premier fut psychiatre et le second philosophe, et comme l'a soulign� le grand Edward Sa�d dans Culture et imp�rialisme en comparant Foucault � feu Franz Fanon (l'un des pionniers de la psychiatrie alg�rienne), Fanon ne laisse pas son lecteur sans l'espoir d'un avenir meilleur fond� sur ce que l'�tre humain a de meilleur, d'o� son humanisme et sa modernit�, alors que Foucault fait aboutir sa pens�e intentionnellement � une impasse apor�tique o� le nihilisme se dispute le terrain � une sorte d'anarchisme individualiste profond�ment cynique, d'o� son antihumanisme visc�ral. Contrairement � Foucault dont le style baroque flamboyant et l'apparence anticonformiste qui cache mal l'�sot�risme r�trograde de sa pens�e et qui a malheureusement s�duit jusqu'� l'assujettissement bon nombre de chercheurs jeunes et moins jeunes, y compris dans notre pays, le professeur Benmiloud, � l'instar de Franz Fanon, croyait en la possibilit� et en la n�cessit� de l'�mancipation collective des soci�t�s pour peu que les conditions n�cessaires soient r�unies par les �tres humains eux-m�mes. On comprend donc mieux pourquoi Khaled Benmiloud le psychiatre s'est �loign� des sentiers battus de la r�flexion techniciste, avatar de l'�conomisme, lorsqu'il s'est employ� � r�fl�chir sur l'�pineux th�me du sous-d�veloppement. Or quel est le trou noir qui a caract�ris� hier notre rapport au socialisme et aujourd'hui au capitalisme si ce n'est celui de l'�conomisme ? ! Voil� en somme pourquoi je n'h�site pas � croire que s'il y a quelqu'un � plaindre, ce n'est pas le professeur Benmiloud � qui nous avons d�ni� l'ultime reconnaissance, mais bien nous-m�mes car � bien y voir nous nous sommes insult�s nous-m�mes en manquant de d�cence au moment de l'adieu que nous lui devions. Si nous venions un jour � comprendre que ce n'est nullement du culte de la personnalit� que de rendre l'hommage qu'ils m�ritent � des esprits comme celui du professeur, en les lisant attentivement, en les reconnaissant, voire en les critiquant, mais une mani�re sans doute la plus efficace d'institutionnaliser l'intelligence dans notre pays, eh bien, ce jour-l� nous aurions compris quelque chose de simple mais � combien fondamental. L'hommage posthume au professeur Benmiloud serait injustement incomplet sans l'�vocation de son amour des belles lettres et des arts. Quitte � ne rappeler qu'une seule de ses amiti�s mais pas la moindre, celle qui l'a li� � M'hamed Issiakhem, cet autre g�ant bien de chez nous dont l'art n'a rien � envier � celui d'un Picasso, mais que notre b�tise, toujours elle, nous a fait oublier. Nul autre que le professeur Benmiloud n'a fourni une cl� aussi pr�cieuse pour comprendre la peinture d'Issiakhem que celle qu'on retrouve sur les colonnes d'Alg�rie Actualit�s (12 d�cembre 1985) dans l'hommage rendu par le professeur � son ami l'artiste quelque jour apr�s son d�c�s. Un hommage qu'il concluait en ces termes : �M'hamed Issiakhem est mort, mais il reste son �uvre. Il reste aussi tous les autres peintres qui ont besoin, comme M'hamed de son vivant, d'�tre aid�s, d'�tre compris et surtout, de vivre.� �Le professeur Benmiloud a v�cu presque vingt ans apr�s ce texte. Il a eu l'occasion de constater � quel point il avait raison de croire � la persistance de l'art plastique dans un pays o� l'art est pourtant une mal�diction pour l'artiste. Et c'est sans doute avec amertume qu'il a d� se rendre � l'�vidence que nous d�vorons sans merci nos propres artistes qui ont besoin, aujourd'hui plus qu'� l'�poque, d'�tre soutenus, d'�tre reconnus pour pouvoir vivre.� La b�te l'a-t-elle emport� en nous d�finitivement ? Sa victoire est ind�niable, il suffit de voir o� nous en sommes, le reste se passe de commentaire. Mais une victoire temporaire. Elle durera cependant aussi longtemps que nous n'aurons pas compris que les m�res alg�riennes mettent au monde des Khaled Benmiloud tous les jours. Et que, h�las, tous les jours nous ajoutons une pierre � cette muraille hideuse �difi�e par nos soins pour la dresser contre ces Khaled Benmiloud qui grandissent, s'engagent sur le sentier escarp� de la connaissance dans l'amour et l'empathie envers les leurs sans jamais pouvoir s'int�grer � une dynamique dans laquelle ils accordent et re�oivent la reconnaissance. Que Dieu ait piti� de nous, car nous n'en avons visiblement pas pour nous-m�mes. ���

Par Miloud Chennoufi
Charg� de cours � HEC-Montr�al
et candidat au doctorat � l'universit� de Montr�al

El Watan 09 ao�t 2003

Le Professeur Khaled Benmiloud a notamment �crit: " La raison paramagique. Sous-d�veloppement et mentalit�s " Editions Dahlab, Alger, 1993.

" La raison paramagigue est un type de rationalit� dominant chez les peuples du Tiers-monde. Ses caract�ristiques montrent et expliquent son inefficience sur la connaissance du monde, aussi bien que sur l'action dans ce monde. Avec elle, les croyances et les valeurs morales constituent l'essentiel d'une mentalit�, ou de mentalit�s, particuli�res. Produit du sous-d�veloppement, ces mentalit�s en sont aussi une cause, majeure parmi les autres. La lutte contre le sous-d�veloppement exige donc en pr�alable une autre action sur ces mentalit�s, que seule l'�ducation morale est en mesure de r�aliser."

DISPARITION DU PR KHALED BENMILOUD : UN TOUCHE-�-TOUT MAGNIFIQUE


Amine Bouali

J�ai connu le professeur Khaled Benmiloud, psychiatre et �crivain, en 1982 comme patient. Atteint d�une d�pression �artistique� carabin�e, j�ai cherch� son aide, attir� par sa r�putation de m�decin hors pair. Dans son petit cagibi de �concierge� de l�h�pital Mustapha � Alger, devant une table de cuisine qui lui servait de bureau, en blue-jean et tee-shirt, il �tait au t�l�phone, griffonnant sur un mur d�cr�pi, qui �tait � port�e de sa main et qui lui servait de bloc-notes, des phrases et des num�ros de t�l�phone, demeur�s pour moi � jamais myst�rieux.

L�air malicieux, les yeux brillants d�intelligence, attentif sous un faux air distrait, il parcourut les quelques po�mes que je lui tendais et me proposa, � la fin de la s�ance, comme th�rapie de m�aider � publier un article, qu�il m�invita � �crire sur le champ m�me, sur les indig�nes d�Australie.

Je ne connaissais alors rien de cet homme, natif de A�n Sefra, fils d�un notable de la ville, qui avait fait ses �tudes de m�decine � Gen�ve et �tait consid�r�, avec feu Mahfoud Boucebsi et le professeur Laborde, comme l�un des p�res fondateurs de la psychiatrie alg�rienne. Je l�ai vu, cette fin de matin�e-l�, quitter l�h�pital Mustapha, � bord de sa modeste Fiat 128 blanche, simple et tranquille comme un homme qui n�a de compte � rendre qu�� sa seule conscience.

J�ai appris par la suite qu�il �tait l�ami de Kateb Yacine, de Malek Haddad et du peintre M�hamed Issiakhem, qu�il avait �crit le sc�nario du film �L�olivier de Boulhilet� de Mohamed Bouamari, tourn� dans les ann�es 1970.

Le taquinant un jour, timidement, sur l�absolue n�cessit� de la pr�sence de sa photographie en haut d�un article brillant, intitul� �Eloge de l�intellectuel-praticien� qu�il avait fait para�tre dans les colonnes �d�Alg�rie-Actualit�s�, il pr�f�ra, en souriant et sans discuter, me conc�der le point. Lui qui d�barquait parfois la nuit dans son service � l�h�pital Mustapha pour v�rifier si tout allait bien. Lui qui n�h�sitait pas � l�occasion de donner un coup de main, � titre, je suppose, d�ami de la po�sie, � un jeune inconnu � c�t� de ses pompes, qui arrivait par train avec ses po�mes � la con!

Khaled Benmiloud publia plus tard deux livres: �Propos �pars� aux �ditions Enal et surtout son ouvrage majeur �La raison para-magique� qui r�v�la son immense et �clectique culture.

Homme libre, esprit ouvert et non conformiste, m�me dans la pratique de sa profession, touche-�-tout magnifique, il lui est m�me arriv� de croquer l�actualit� et le comportement des Alg�riens dans des dessins de presse publi�s vers la fin des ann�es 60 par l�hebdomadaire �Alg�rie-Alg�rie� dirig� alors par le journaliste Mohamed Farhi.

Adieu Ma�tre. Je paye ici modestement une dette que j�ai contract�e un jour � votre �gard et que la peine de votre disparition rend encore plus lourde. Votre vie n�aura pas �t� vaine.


Amine Bouali Le Quotidien d'Oran 6 ao�t 2003

�VOCATION / L�hommage du Pr Ridouh � Khaled Benmiloud



Big Ben, comme ses �l�ves l�appelaient affectueusement, vient de partir. Rien ne nous pr�parait � sa disparition, et surtout pas sa robuste sant� qu�il mettait � l��preuve � A�n Sefra dans des activit�s agricoles avec une aust�re simplicit� de sa vie intellecto-pastorale.

Auparavant, j�avais eu avec lui, c�est le moins que l�on puisse dire, des rapports conflictuels d�une rare intensit�, rapports � mettre sur le compte d�un homme � principes. C�est ainsi que lors de notre soutenance de th�se, le c�l�bre philosophe Francis Jeanson (principal responsable du r�seau des porteurs de valises), ayant �t� �vinc� du jury par le recteur de l��poque, Benmiloud refusa de si�ger en tant que directeur de th�se, avec les cons�quences qu�on peut imaginer. Tous les professeurs, exer�ant actuellement, ont �t� les �l�ves de Benmiloud : de Kacha � Bakiri, en passant par Tedjiza, Boudef et moi-m�me. Personnalit� puissante, esprit clair, mais connu et redout� aussi pour sa fermet� et son courage lorsqu�il s�agissait de ne pas conc�der une parcelle de son honneur ; il l�a d�montr� (malheureusement pour la psychiatrie) lors de son opposition au ministre de la Sant� de l��poque, avec une d�mission extr�mement pr�matur�e. Il avait des estimes et des sensibilit�s qu�il aimait �voquer (feu Seddik Benyahia, ministre de l�Enseignement sup�rieur), mais il avait �galement des antipathies tenaces�Big Ben �tait brillant, remarquable quand il �voquait les probl�mes sociologiques du pays. Il avait une profonde connaissance de son peuple. La certitude de sa m�moire, les �vocations historiques, les r�f�rences gr�co-latines, mais surtout arabes, en faisaient un homme qu�on aimait �couter. Au cours du s�minaire sur la r�forme de la justice, l�homme � la blouse blanche avait subjugu� son auditoire, compos� de robes noires, magistrats, avocats et juristes, par sa connaissance du terrain carc�ral. La pr�face, que le professeur Benmiloud m�a affectueusement �d�di�e� dans l�ouvrage sur Bouma�rafi, est un reflet de cette personnalit� enti�re, cisel�e dans le roc, mais aussi g�n�reuse, sensible, discr�te, effac�e, en un mot exempte de banalit�s. Benmiloud n�aurait pas aim� une quelconque �loquence fun�bre � son sujet, mais on demandera � �Shab el baroud� une salve d�honneur pour Khaled Benmiloud, le p�re de la psychiatrie alg�rienne, notre ma�tre.�����������������

Par Pr B. Ridouh

El Watan 11 ao�t 2003

Hommage � Issiakhem

par le Professeur Khaled BENMILOUD - Psychiatre -

(Alg�rie Actualit� N� 1052 - Semaine du 12 au 18 D�cembre 1985)

Je l'ai connu dans les ann�es cinquante, � Paris, moi j'�tais �tudiant en m�decine et lui aux Beaux-Arts; il faut dire que, chez Issiakhem, il y a le personnage et l'artiste.

On dit que c'est le peintre de la figure, moi Je dis que ce n'�tait pas pr�m�dit�. Fatalement, au dernier moment, la figure ressortait. Il travaillait, � mon sens les teintes, puis avec un chiffon, il les effa�ait, et finissait par obtenir une certaine harmonie entre elles. Issiakhem n'est pas un figuratif, c'est le roi de la teinte. Il la ma�trisait parfaitement par une sorte de multitude et de liaison. Il s'y balade presque et puis, brusquement, il y'a l'irruption de la figure. Il part dans une toile, sans savoir o� il va. C'�tait la toile qui le menait; c'est pour cela qu'il n'�tait pas un commercial, Il ne pouvait pas faire de la commande.

Au niveau de la cr�ation, c'est un vrai artiste; il ne pouvait pas ne pas cr�er, sur n'importe quoi, sur du bois, un morceau de drap. C'�tait sa mani�re d'�tre au monde; la figure est un surcro�t dans la toile. Il dominait les teintes, et la figure le dominait.

La peinture d'Issiakhem, c'est une richesse dans la mati�re. La figure, si l'on peut dire, calmait son angoisse. Quand, dans la toile, la figure apparaissait, il commen�ait � voir l'acte de cr�ation s'achever. L'irruption de la figure avait en quelque sorte un effet conjuratoire. C'est la fin de l'angoisse de la cr�ation. Parce que si la figure a une fin, comment peut-on finir les teintes? La figure, chez lssiakhem, c'est la possession.

Un type hant� par la cr�ation, tout le temps, tout le temps. On peut dire de lui qu'il �tait surr�aliste, non dans sa peinture, mais dans sa personnalit�. L'harmonie de ses teintes, c'est du talent simplement. Sinon comment l'expliquer? Mais il y'avait du travail dans ses toiles. Il n'aimait pas la facilit�. Il consid�rait qu'une toile n'�tait jamais finie, sauf si la figure venait.

Sobre, c'est un type merveilleux, g�n�reux. Il pouvait donner le meilleur de lui-m�me. M�me quand il faisait des portraits-robots pour la police, c'�tait finalement lui qui cr�ait le personnage. Tr�s affectueux, tr�s peu s�r de lui, inquiet, tourment�...

J'�tais un ami et je crois que j'�tais s�curisant, parce que psychiatre. Je n'�tais pas son psychiatre, M'hamed n'�tait pas un cas psychiatrique.

II avait une patte extraordinaire, un personnage marrant, bringueur, rigolo, moribond, II nous faisait rire. Un type qui se sait condamn� et qui trouve le mot pour rire ? Il faut le faire.

Issiakhem a �t� form� comme Malek Haddad, Kateb Yacine � l'�cole de la solidarit� avec le peuple. Nous �tions tous � dix, douze ans, des nationalistes. On d�couvrait que notre ennemi c'�tait le colonialisme et la mis�re. On d�couvrait un peu plus tard le marxisme, Mao, la grande marche... On chantait m�me la mis�re. Mais ce qui nous a le plus marqu� � l'�poque c'�tait le formidable �lan de solidarit� avec le peuple.

M'hamed Issiakhem est mort, mais il reste son oeuvre. Il reste aussi tous les autres peintres qui ont besoin, comme M'Hamed de son vivant, d'�tre aid�s, d'�tre compris et surtout, de vivre .

Pr Khaled Benmiloud - Psychiatre -
(Alg�rie Actualit� N� 1052 - Semaine du 12 au 18 D�cembre 1985)

Texte du Pr K. Benmiloud

"l'esprit humain, psychisme en relation"

Professeur Khaled BENMILOUD

"....Concernant la maladie mentale, il s'est aussi produit une "r�volution pharmacologique", succ�s inattendu de la seule chimie industrielle, qui en a compl�tement transform� le traitement, le contr�le, la surveillance, l'�volution, le pronostic, les s�quelles. Mais � un moindre degr�, le statut social,c'est � dire la mani�re dont elle continue d'�tre per�ue dans la soci�t�. Les taux de gu�rison, d'am�lioration, de stabilisation, sont aujourd'hui �quivalents et souvent plus �lev�s que dans les maladies des autres organes. Mais demeure encore une sorte d'inqui�tude sceptique, souvent m�l�e d'angoisse, lorsqu'on appr�hende de pr�s ou de loin cette maladie.
Pourquoi en est-il ainsi ?
Tout d'abord, la maladie mentale n'�tant que rarement mortelle, ses echecs demeurent, debout et anim�s, incarn�s dans des �tres qui ont perdu tout ou une partie de leur humanit�, � t�moigner des limites et contre les pr�tentions de la psychiatrie.

Ensuite, et malgr� l'absence de toute certitude scientifique ou m�me tout simplement exp�rimentale, l'id�e de la "contagion" de cette maladie demeure une croyance confuse, � peine consciente. On croit cette contagion r�alisable non par la transmission de ce qu'on a appel� un "agent pathog�ne" (virus ou microbe), mais par la transmission d'une sorte de vibration, comparable � la mani�re dont se transmet la chaleur, par la "conduction" qui est la transmission d'une agitation mol�culaire. Cette vibration est ressentie devant le malade mental, non pas seulement parce qu'on se sait impuissant � contr�ler des actes ou des r�actions impr�visibles, et l� on est dans la crainte, mais aussi, et c'est � ce moment l� surtout qu'il y a vibration, parce que la folie de l'autre, celle qui est devant nous, r�veille celle que l'ont craint �tre en nous, ou qui est connue de nous comme �tant en nous. Cette angoisse de la "folie en nous", entretient cette peur de la maladie mentale, peur qui � l'origine, reposait sur la croyance en l'immanence "d'esprits mal�fiques". C'�tait le temps, encore souvent pr�sent chez les hommes, de la possession d�moniaque et de l'exorcisme.
aujourd'hui encore, la psychiatrie en tant que science et action m�dicales, demeure souvent impuissante � dissiper ce pr�jug� qui constitue un v�ritable handicap dans son exercice. C'est que pour agir � des fins th�rapeutiques, elle a besoin de ce milieu humain qui est � la fois, son instrument et sa finalit�. La psychiatrie pourrait beaucoup plus dans sa pratique quotidienne, si on cessait de voir la maladie mentale comme contagieuse et porteuse de danger pour autrui, parce que c'est de moins en moins vrai, et qu'on la regarde enfin comme une maladie ordinaire....."

Editions MARINOOR - REVUE N�11- 1998

Extrait d'un texte sur le Soufisme du Pr Khaled Benmiloud paru en plusieurs parties dans La Nouvelle R�publique en octobre et novembre 2002 :

"... cela parce qu�il n�est qu�un commentaire et une nouvelle mani�re de lire et de vivre le Coran. En effet, d�s ses d�buts, le soufisme se pr�sentait comme un retour � la puret� primitive, � la vie int�rieure des croyants. Il reposait sur une interpr�tation toute spirituelle et �sot�rique du Coran. C�est donc aussi qu�il y puisait sa source.

Il faut envisager de la m�me mani�re les rapports du Tassawouf avec le Proph�te Mohamed (slam). Cela, � travers ses propos, ses actes et sa conduite. Nous avons vu qu�il avait parl� des Soufis en affirmant : "Celui qui entend la voix des Ahl Ettassawouf et ne dit pas Amen � leur pri�re est compt� devant Dieu au nombre des incroyants."
Mais si le Tassawouf (Soufisme) a �t� d�abord une attitude et un comportement mystiques aussi anciens que l�Islam, il faudra cependant attendre plusieurs si�cles (XIIe) pour qu�il se d�veloppe et s�organise en confr�rie (Ta�ifa). Mais depuis les premiers temps, l�enseignement oral et la Baraka du Proph�te se sont transmis de ma�tre � disciple, trait essentiel du Tassawouf. Et toutes les filiations initiatiques (silsila) comme l�affirma le ma�tre soufi Al Basri (VIIe - VIIIe si�cles) remontent � Mohamed (slam).

D�ailleurs, le Tassawouf a pris naissance d�s le premier si�cle de l�H�gire (VIIe si�cle chr.), en r�action contre l�Islam officiel qui, dans la course aux biens mat�riels � conqu�rir, ne s�occupait plus de sa propre vie.

Pour Ibn Arabi (XIIIe s.) : "L�acte cr�ateur commen�a avec Mohamed (slam) et s�acheva avec lui. Car, d�une part, il �tait proph�te, alors qu�Adam �tait entre l�eau, l�argile, et d�autre part, il fut dans son existence terrestre le sceau de tous les proph�tes." Mohmed (slam) �tait consid�r� par les Soufis comme le meilleur des proph�tes, le seul digne d��tre admis dans l�union intime avec l�esprit divin, mais qui n�avait aucune connaissance des "choses cach�es" et ne poss�dait aucun secret myst�rieux. Ils rappelaient � ce sujet ses propos : "Si je savais ce qui est cach�, je m�approprierais le bien, et le mal ne me toucherait plus" (VII, 188). Et puis : "Je ne vous dis pas que l�on trouve aupr�s de moi les tr�sors d�Allah, je ne sais pas davantage ce qui est cach�, je ne pr�tends pas non plus �tre un ange." (VI, 50)

Le Proph�te (slam) a-t-il vu son Seigneur lors de son voyage nocturne ? (XVII, 1 et LII, 4 � 18). Conform�ment � la tradition remontant � A�cha, le Soufisme affirme : "Qui pr�tend que Mohamed (slam) a vu son Seigneur a menti." Mais selon un autre Soufi, le Proph�te "l�aura (Dieu) vu avec son c�ur". Il s�appuyait pour dire cela sur l�indication scripturale : "Le c�ur n�a pas menti sur ce qu�il a vu." (LIII, 11)

Le Soufi se pla�ait en quelque sorte au-dessus des proph�tes, et par son enseignement extatique s��levait au-dessus de l�humanit�, pour devenir un �tre surnaturel et merveilleux, tandis que Mohamed (slam) se consid�rait comme un simple mortel, ignorant les myst�res de l�avenir, et n�ayant aucun pouvoir de faire des miracles. On comprend bien tous les ennuis qu�ont eus avec leurs communaut�s les Soufis et, par exemple, le destin tragique d�El Hallaj (Xe si�cle), mis � mort parce qu�il se proclamait "divinis�".

Mais le Soufisme ne se consid�rait pas comme h�r�siarque. Par la tradition qu�il avait su assimiler � ses principes, il avait, par la voix de ses docteurs, fait remonter au Proph�te la source son enseignement auquel il donnait une source � la foi divine et moham�dienne. Dhou L Noun (IXe si�cle) dit : "Dans la course au galop � laquelle se livrent les �mes des proph�tes dans la lice de la connaissance de Dieu, c�est celle de notre Proph�te Mohamed (slam) qui les a devanc�es toutes, vers les jardins fleuris de l�union intime (avec Dieu)."
Dans son �laboration de l�ordre du cheminement et des �tapes des itin�rants vers Dieu, le soufisme s�est constamment r�f�r� � des paroles du Proph�te. Ce qu�il a appel� �tapes ou stades se comptent au nombre de trois. La premi�re �tape ou premier stade consiste en la mise en route (Bidaya) de celui qui a fait le propos d�avancer. Le Hadith concernant le sens de ce stade dit : "Marchez ! les esseul�s arriveront les premiers !" On demanda � Mohamed (slam) : "� envoy� de Dieu ! qu�est-ce que les esseul�s ?" Il r�pondit : "Ce sont les fr�misseurs qui fr�missent � la pens�e de Dieu ; la pens�e de Dieu enl�vera leurs fardeaux de sorte qu�ils viendront l�gers au Jour de la R�surrection." Le deuxi�me stade de l�itin�rant vers Dieu est celui de son entr�e dans l�expatriement (Ghurba) qui, selon le Hadith, est "la recherche de Dieu". Le troisi�me stade, c�est l�arriv�e � la contemplation (mushahada), qui attire vers l�essence m�me de l�unification (tawhid), dans le chemin de l�an�antissement (fana). Le Hadith concernant le sens de l�arriv�e � la contemplation dit : "Dans la tradition rapportant la question pos�e, Gabriel dit � l�envoy� de Dieu : "Qu�est-ce que le bien-agir ?" Il r�pondit : ��C�est que tu rendes ton culte � Dieu, comme si tu Le voyais, et si tu ne Le vois pas, Lui du moins te voit.��" Nous voyons l� un exemple de la r�f�rence r�guli�re aux Hadiths que faisait le soufisme pour mieux affirmer et convaincre. Un autre exemple est celui o� Dhu L Nun (IXe si�cle) parle de l�assiduit� (ilzaza) dans l�invocation (dou�aa). Il cite la parole du Proph�te (slam) : "Soyez assidus (alizzu) dans l�invocation : ��� toi qui d�tiens la majest� et la magnificence��."

Il semble bien que le Proph�te a eu tr�s t�t une affection particuli�re pour les Ahl Ettassawouf des premiers temps, qu�on appelait alors les pauvres (fouqara), et que cela reposait sur l�admiration qu�il avait pour cette pauvret� volontaire par renoncement (zuhd). C�est ainsi qu�il a dit, rapporte Abul el Qacim el Qebiri : "Il existe une clef pour toute chose. La clef du paradis est l�amour des malheureux et des pauvres." Anes ben Malek a rapport� cette autre parole du Proph�te : "Les pauvres entreront au paradis, une journ�e avant les riches, ce qui repr�sente une avance de cinq cents ann�es." Ibn Ameur rapporte le Hadith : "� mon Dieu, fais-moi vivre et mourir pauvre, et ressuscite-moi dans la phalange des malheureux." Et la pauvret� par renoncement, c�est-�-dire l�asc�tisme, est un caract�re capital de la pratique du Tassawouf.
Il appara�t donc que les rapports de Mohamed (slam) avec le Tassawouf semblent bien �tre des rapports bas�s sur l�affection et l�admiration. Admiration pour le renoncement (zuhd) et la pi�t� dans la pauvret�. C�est ainsi que Rouin rapporte ce Hadith : "Le pauvre (faqir) doit avoir trois qualit�s : conserver ses pens�es intimes, s�acquitter des obligations de la loi divine et prot�ger sa pauvret� contre toute atteinte."

Si r�ciproquement, les Soufis ont eu pour Mohamed (slam) des attitudes retenues et parfois critiques, ils ont, pour sa Tradition, observ� une sorte d�orthodoxie sans faille. C�est ainsi que Ghazali (XIe s.) affirme : "Notre science, le Soufisme, est r�gul�e par le Coran et la Sunna." Et puis : "Le parfait est celui qui se conforme � la Sunna, non le scissionniste-chiite (al mutachyy�u), ni celui qui s��carte (el mu�tazilu), ni l�innovateur (el mubtad�ii)."
Les Soufis ont surtout suivi Mohamed (slam) comme mod�le. Pour eux, il offrait "l�image la plus parfaite du monde. Et comme tout ma�tre spirituel, il pr�sentait "une double face, l�une tourn�e vers Dieu, l�autre vers les hommes". Ghazali recommandait d�"observer le mod�le moham�dien" et de "suivre le Proph�te (slam) dans ses comportements, ses actes, ses ordres et sa Sunna". Enfin, rappelons-le, le mod�le de la confr�rie (ta�ifa) �tait inspir� directement du comportement du Proph�te avec ses compagnons (Suhaba). En effet, c�est le compagnonnage (suhba) qui a pr�c�d� les confr�ries au temps du Soufisme ancien et m�di�val. Dans une de ses invocations, Mohamed (slam) s�est adress� � Dieu en ces termes : "Tu es le Compagnon durant le voyage." Et ses derniers mots ont �t� : "Compagnon supr�me." Et pour le Compagnon, le Ma�tre importe plus que la voie, qui, elle, se fonde dans le Ma�tre. Ainsi donc, les confr�ries n�ont �t� que l�extension dans le temps et dans l�espace du lien entre le premier ma�tre (Mohamed, slam) et ses Compagnons.

Nous connaissons l�existence du rite hanafi, mais nous n�avons qu�une tr�s vague id�e de ce que sont les autres rites orthodoxes-sunnites (hanbali, chafi�i). Et nous avons une id�e encore plus vague de ce qu�est l�Islam qualifi� d�h�r�siarque. Selon Kitab el Maouaqiff de A�d houd-el-Mella, Abderahman ben Mohamed el-Idji el-Cadi le pr�sente en huit classes : les Khar�djites (Kharidjia), les Mo�taz�lites (Mo�tazla), les Mordjites (Mordjia), les Nadjarites (Nadjaria), les Djabrites (Djabria), les Mochabbihites (Mochabbiha), et les Nadjites (Nadjia).
Mais la huiti�me classe, la plus importante, et celle des Chi�ites (Chi�a). Ce sont les partisans de Ali, le quatri�me Khalifa (656), apr�s Abou Bekr (632), Omar (634) et Othmane (644) qui lui avait �t� pr�f�r�. Demis par Mou�awiya en 657 parce qu�il refusait la discorde, Ali a �t� abandonn� par les Khar�djites. Ceux qui lui sont rest�s fid�les, sous Mouawiya ont �t� d�sign�s sous le nom de Chi�ites (les partisans). Ali, assassin� en 661 par un Khar�djite, lui succ�de � la t�te de la communaut� chiite, son fils a�n� Hasan jusqu�en 669 puis l�autre fils Hussayn, qui fut massacr� en 680.

Nous sommes contraints d�insister sur la nature du Chi�isme parce que mal connu dans notre pays, mais r�alit� importante dans l�islam d�aujourd�hui. Pour les Chi�ites, les successeurs du Proph�te doivent �tre choisis dans sa famille. Ils r�cusent les trois premiers khalifats et n�acceptent de la tradition que ce qui est garanti par les gens de la maison, c�est-�-dire Ali, Fatima et leurs fils Hassan et Housseyn. La notion principale du Chi�isme est celle de l�Imamat, qui remplace celle originelle du Khalifat. L�imam est un descendant de Ali, que Dieu dote de gr�ces particuli�res qui le rendent infaillible, seul apte � interpr�ter la r�v�lation, et � diriger la communaut�. Mais c�est la liste des imams reconnus qui a cr�� � l�int�rieur du chi�isme des divergences et des sectes. Les imamites ou duod�cimiens (Irak, Iran), majoritaires, reconnaissent douze imams, dont le dernier n�est pas mort, mais myst�rieusement occult�. L�attente de son retour donne un caract�re messianique � cette secte. Les septimaniens ou isma�liens (Pakistan) reconnaissent sept imams, le dernier Isma�l, fils de Dja�far a �t� lui aussi occult� ; il est le Messie (Mahdi) attendu. Les Zaydites (Y�men) constituent le courant le plus temp�r� : ils reconnaissent cinq imamats l�gitimes, et ne professent pas le dogme de l�imam cach�. Ils admettent Abou Bekr et Omar comme Khalifes, m�me si Ali aurait �t� pr�f�rable.

Les dissidences qui s�par�rent les Chi�ites des Sunnites, se ram�nent � trois points principaux :

1 - ils rejettent les trois premiers Khalifes (Abou Bekr, Omar et Othman), qu�ils consid�rent comme des usurpateurs. La qualit� d�imam ne peut quitter la famille de Ali et en raison de son origine divine, elle ne doit pas �tre abandonn�e aux caprices d�un suffrage populaire ; elle se transmet en vertu d�une d�l�gation expresse et textuelle (ouaciat-nouss) ;

2 - ils consid�rent qu�Ali est au moins �gal en saintet� au Proph�te (slam) ;

3 - la Sounna est, � leurs yeux, le r�sultat d�un travail apocryphe qui ne m�rite aucune confiance.
Le Chi�ites se divisent en trois grandes branches :

1 - Les Ghoulat (les outr�s), qui appliquaient � leurs imams la condition de la divinit�. Ils assimilaient Ali � Dieu, et croyaient � la transfusion de la parcelle divine dans les imams de la descendance de Ali. Ils donn�rent naissance �� dix-neuf �coles secondaires (!) dont la plus connue est celle des Isma�liya, qui ont cr�� la c�l�bre secte. des Ikhouan Essafa (les fr�res de la puret�) :

2 - Les Ze�dia, ainsi nomm�s parce qu�ils se r�volt�rent avec Ze�d, fils de Ali, fils de Housseyn, fils de Ali, fils de Abou Taleb. Leurs doctrines consistent dans l�exaltation des enfants de Fatma-Zohra, fille du Proph�te (slam), auxquels ils attribuent exclusivement la qualit� d�imam. Ils se sont ensuite divis�s en trois fractions.

3. Les Imamia est la seule branche des irr�ductibles qui essaient de d�montrer par des faits l�id�e primordiale des Chi�ites, � savoir que Mohamed (slam) a d�sign� Ali comme son successeur. Ils appuient leur d�monstration sur des paroles prononc�es par Mohamed (slam) au moment o� il commen�a � faire du proselytisme. Ali accepta, comme on le sait, d��tre son vicaire, et, dans une autre circonstance, Mohamed (slam) reconnut le jugement de Ali sup�rieur � celui de ses compagnons.

Mais il faut aussi retenir que schismatique lui-m�me, le Chi�isme a engendr� en son sein de nouveaux schismes, et cela toujours sur la base de conflits autour de la l�gitimit� des "continuateurs" de Mohamed (slam). C�est pourquoi, conflictuel dans sa nature, et sa naissance, le Chi�isme s�est tant�t oppos� aux confr�ries soufies, comme au Y�men gouvern� par des Chi�ites Zaydites (901-1962), et tant�t profond�ment avanc� dans la qu�te mystique du Tassawouf. De plus, les traditions des Imamats chi�ites occup�rent une place importante dans les commentaires soufis du Coran et dans les sources essentielles du soufisme. Et la tradition de Ali, premier imam, rapproche consid�rablement l�Islam chi�ite de l�Islam du Coran.
C�est essentiellement en Iran que s�est manifest� le Tassawouf chi�ite. En 1501, Isma�l 1er, chef de la confr�rie safawi, a fond� la dynastie S�f�vide, qui r�gna sur l�Iran jusqu�en 1736 et imposa le Chi�isme duod�cimien en Iran. Mais pour consolider leur nouvelle religion, les S�f�vides s��taient livr�s � une pers�cution de toutes les formes religieuses concurrentes ou oppos�es, la principale �tant l�Islam sunnite. Isma�l 1er pourchassa aussi les Soufis et les principales confr�ries. Puis Isma�l II (1576-157) et Chah Abbas (1587-1629) ordonn�rent des massacres de Soufis, et parmi eux "les anciens soufis de Lahijan". Chah Isma�l avait pris des mesures tr�s violentes � l��gard des Soufis, et alla jusqu�� d�truire les mausol�es de plusieurs de leurs saints fondateurs. Le soufisme reprit son essor sous le r�gne de Chah Safi (1629-1642) et de Abbas II (1642-1666).
Par exemple, une des originalit�s du soufisme iranien, r�side justement dans sa dimension chi�ite. De nombreux th�mes chi�ites sont pr�sents dans ce soufisme, et m�me dans le sunnisme iranien. L�ensemble des "derviches" apporteront une v�n�ration a certains imams du chi�isme, en particulier � Djafar-al-Sadiq, imams qui cependant ne repr�sentent pour eux que des guides de l��sot�risme islamique.

On a parfois avanc� que le chi�isme repr�sentait l��sot�risme de l�Islam, et le sunnisme son exot�risme. Cela en raison des similitudes que le soufisme pr�sentait avec ce premier, et parce qu�il en avait assimil� certains aspects. Il faut en effet rappeler que l�un des principaux aspects de la doctrine chi�ite, est la walaya (pouvoir de guider et d�initier), que le Proph�te (slam) aurait transmis � tous les imams. Et cette walaya est pr�sente dans ce soufisme. Par ailleurs, alors qu�en Islam sunnite la proph�tie se cl�t avec Mohamed (slam), dans le chi�isme les imams donnent la suite � celle-ci, � travers la walaya. Il faut interpr�ter cette suite comme un cycle d�initiation (da�rat al-walaya), cycle qui succ�de � celui de la proph�tie (da�rat al-noubouwa). On trouve par ailleurs dans la silsila des plus grandes confr�ries sunnites des imams chi�ites, g�n�ralement les huit premiers (de Ali � Ali Rida).

Enfin, sur le plan de la pratique mystique, � c�t� du dikr connu (Ya, Hu, des sunnites par exemple), est apparu dans les ordres chi�ites, comme dans la confr�rie Ni�matullahiyya, l��vocation du nom de Ali, et m�me pour conclure la s�ance de dikr, la r�citation d�un dikr sp�cialement d�di� � Ali.

Nous voyons donc que dans le chi�isme, si le Tassawouf a eu historiquement des difficult�s � s�installer, ce sont ses particularit�s doctrinales et sa nature plus "mystique", qui lui ont finalement permis de se d�velopper.

l��me et serait agr�able � Dieu. Il n�est pas non plus, celui des philosophes, m�thode morale, ne tenant aucun compte du plaisir et de la douleur. Malheureusement, il n�existe, ni en arabe ni en fran�ais, de terme recouvrant toute la r�alit� de cet asc�tisme, caract�re tr�s important du tassawouf "v�cu".

Les premiers soufis (ahl et-tassawouf), ont �t� appel�s ainsi parce que dans leurs habitudes, ils passaient leurs nuits et dormaient sur les bancs (sof) qui se trouvaient devant les mosqu�es. Le comportement d�errance (ghourba), est un des traits de cet "asc�tisme" du tassawouf, et qui sont constitu�s aussi par des attitudes tel que le renoncement (zouhd), des �tats tels que la pauvret� (faqr), et des r�actions telles que la fuite aupr�s de Dieu (firar).
C�est le renoncement (zouhd) qui est � la base de tous les traits apparents du soufisme. Et les premiers soufis aimaient � se reconna�tre dans les premiers asc�tes, appel�s alors aussi Ez-zouhhad, et avant tout, de deux compagnons (souhaba) du Proph�te (slam), Abou Ed-Darda et surtout Abou Dharr el Ghifari. Le renoncement consiste � faire tomber de la chose, le d�sir qu�on en a, de fa�on totale : "Ce qui reste aupr�s de Dieu est un bien pour vous" (XI, 86). Pour Dhou 1 Nun " (IX s.), il y a trois mani�res de renoncement : "La limitation de l�espoir (kasr el amal), l�amour de la pauvret�, et l�aptitude � se passer des choses avec patience". Parce que "le renoncement � ce monde-ci (tark eddounya), qui s�accompagne du d�sir de l�autre monde (akhira), est l�un des id�aux des soufis. Pour les Isma�liens, chi�ites de la secte des Ikhouan Essafa : "On est r�compens� dans l�au-del� de ce � quoi on renonce ici-bas (Ep�tre IV, 68, 81) ; et copiant l�islam orthodoxe, ils ajoutent : "Le renoncement est une des cinq conditions de la Foi ". Pour Jounayd (X s.) : " Le renoncement, ce sont les mains vides de tout bien, et le c�ur vide de tout attachement ". Pour Ali Ibn Abi Talib : " Le renoncement, c�est que tu ne te soucies pas de quiconque d�vore ce bas monde, qu�il soit croyant ou infid�le ". Pour Abou Yahia (XI s.) : " Le renoncement, c�est n�gliger ce qui n�est pas indispensable ". Pour Ibn Masrouq (XI s.) : " L�asc�te (le zahid), est celui qu�aucune cause seconde (sabab) ne poss�de en partage avec Dieu ". Et dans le cheminement du Soufi, le renoncement (zouhd), est la deuxi�me station (maqamat), apr�s le repentir (tawba), et avant la confiance en Dieu (tawakkoul). La station (maqamat), selon Al Houjwiri (XI, s.), "c�est le fait de se tenir dans la voie de Dieu, en accomplissant les obligations relatives � cette station, et en les conservant jusqu�� ce que l�on comprenne sa perfection, autant que cela est possible � un �tre humain. Quant � l��tat (hal), il descend de Dieu dans le c�ur d�un homme, sans qu�il soit capable de le repousser quand il lui advient, ni de l�attirer quand il s�en va, par son propre effort ". Jounayd (X s.), dit : "Pour toi qui recherche les �tats spirituels �minents, et les meilleures m�thodes qui y m�nent, la premi�re des choses � entreprendre, et dont l�accomplissement te rapprochera de ton Seigneur, est de renoncer (zouhd) au monde, et te d�tourner de ce qui pourrait plus ou moins t�attirer".
Mais le renoncement (zouhd) total, est rest� le fait d�une minorit� souvent mal consid�r�e. La norme au contraire, est de conserver dans une large mesure le lien avec le monde. C�est ainsi que le costume soufi (khirqa) lui-m�me, ne s�est pas g�n�ralis� � tout le monde musulman.
La deuxi�me apparence importante du soufi, est celle de la pauvret� (faqr). D�ailleurs, ce n�est qu�au IIe si�cle de l�h�gire, que le terme " ahl et-tassawouf " a remplac� celui de foqara. Ils appelaient, a-t-on rapport�, leur pauvret� " le manteau de l�illustration, le v�tement de l�Envoy�, la Robe des hommes pieux ". La pauvret� telle que la vivaient ces foqara de l�islam, "n��tait pas l��uvre d�un moment ni d�une �poque, mais la continuit� du renoncement en soi ". Elle �tait d�essence islamique, et ses d�fenseurs la font remonter au Coran. Et l�origine du terme employ� chez les Soufis est un verset du Coran : " Oh hommes, vous �tes les pauvres devant Dieu, et Dieu est le riche, objet de toute louange " (XLVII, 38 et XXXV, 15). Pour un Soufi, le nom de pauvre (faqir) a �t� donn� � celui qui est " tenu dans les fers par la pauvret�, c�est-�-dire qui prend son repos et se fixe dans la pauvret�, et qui, par cons�quent, est domin� par la pauvret� et est sous son empire ". Pour Jurayri (XI s.) : " La pauvret� c�est que tu ne cherches pas ce qui n�existe pas, si c�est pour perdre ce qui existe ". Le Soufi affirme pour se d�finir : "Celui qui ne poss�de pas et n�est pas un objet de possession, (sous-entendu, de ses d�sirs) ". Et puis : " Le Soufi est celui qui ne poss�de rien et qui, si jamais il vient � poss�der quelque chose, le donne ". Pour Ibn Al Jalla (X s.) : " La pauvret� c�est qu�il n�y ait rien � toi, et s�il y a quelque chose � toi, que cela ne soit plus � toi, conform�ment � la parole de Dieu (Ils les pr�f�reront � eux, m�me s�il y a p�nurie chez eux (LIX, 9). Selon L Nun, (IX S.) : " La caract�ristique du pauvre (faqir), c�est la s�r�nit� dans la privation, la g�n�rosit� et la pr�f�rence donn�e � autrui, quand il a quelque chose ". Pour un autre �minent soufi : " Le pauvre, c�est celui qui est priv� de secours, et qui se prive de demander, conform�ment � la parole du Proph�te (slam) ". Beaucoup plus pour Nasr Ben El Hamaoui (XII s.) : "La pauvret� est la premi�re des stations (maqamat), qui conduisent � la conception de l�Unit� ". Mais cette pauvret� doit pour les Soufis, �tre active en quelque sorte. Il faut " devenir pauvre apr�s avoir �t� riche, humble apr�s avoir �t� superbe, et dispara�tre apr�s avoir �t� vu ". Il faut selon Abou Othman El Basri (IX s.), " se d�pouiller des richesses, purifier son �me des esp�rances mondaines, consid�rer la v�rit� en toutes choses ". Les Soufis ont appel� cette pauvret� " active ", la pauvret� " choisie ", et la pauvret� " subie ", la pauvret� " forc�e ". Et paradoxalement mais dans leur logique, les Soufis affirment : " Si la pauvret� est forc�e, le pauvre est plus parfait, parce qu�il en est l�esclave, mais si elle est choisie, c�est elle qui est l�esclave du pauvre ; et il vaut mieux que le pauvre soit libre de tout effort pour obtenir la pauvret� par lui-m�me, au lieu de l�acqu�rir par ses propres efforts ".
La troisi�me caract�ristique de cet asc�tisme, est la ghourba, ce qui d�signe l�expatriment, l�exil, et se manifeste par l�errance, et la fuite (aupr�s de Dieu) el firar. A l�extr�me, d�laissant ce bas monde, ils abandonnent leur maison, leur famille, leurs amis, et courent � travers le pays, affam�s, � moiti� nus, et ne prenant que le minimum, pour se v�tir d�cemment et calmer leur faim. On les a appel�s ghouraba, � cause de cela, et aussi parce qu�il sont constamment en voyage. On les a aussi appel�s les p�lerins (asynchrone ou ahl essiyaha), et les troglodytes (schikaftiya), parce qu�ils se sont parfois r�fugi�s dans des cavernes (chikaft). C�est ainsi que ceux qu�on a appel� les Qalandars, se sont r�pandus, dans tout le monde musulman � partir du XIII si�cle. "Asc�tes, sans frein ni lien, toujours pittoresques, ils parcourent le monde � la qu�te de Dieu ". Dans les �tapes des " Itin�rants" vers Dieu, au sujet des " liens tut�laires " (wilaya), il est affirm� que la ghourba est d�abord le fait de s�isoler de ses semblables. Ghourba et Firara se confondent dans une phrase du hadith : " La recherche de Dieu est un expatriment ". Enfin, pour Ghazali (XI, s.) : " Le Soufi est le gharib. Il est incompris dans la cit�. Etrange il est, sa parole l�est, ses actes ne le sont pas moins". Et d�apr�s la tradition : " Le Mourid (qui entre dans la voie), est un voyageur ". Toujours d�apr�s Ghazali (XI, s.) : Le terme de Gharib d�signe tous ceux qui ne sont pas chez eux. Ce qui est le cas des Soufis, qui refusent de s�accommoder d�un monde de choses p�rissables. Cela implique pour lui d��tre pr�t � toutes les difficult�s d�un voyage aussi long ".

Caract�re important du tassawouf, l�asc�tisme est le fait de pauvret� (faqr) et d�errance (ghourba). Ce sont les expressions directes du renoncement (zouhd), attitude et volont� existentielles..."