La foi n'empêche plus le suicide

(Syfia Algérie) Le suicide en Algérie se propage comme une traînée de poudre. Bien que considéré comme un péché capital par l'islam, cet acte fatal est en passe de devenir une échappatoire pour beaucoup d'Algériens, notamment les jeunes.

"Ma vie est un véritable échec. À 16 ans, j'ai fugué de la maison parce que je ne pouvais plus supporter l'autorité paternelle. J'étais une fille révoltée. Je n'ai pas pu supporter l'autorité... de la rue. Mais la vie m'a matée, marquée au fer rouge. Pour afficher ma désapprobation, j'ai attenté à ma vie", nous raconte Naziha, hospitalisée après une tentative de suicide. À 24 ans, elle est fille-mère. Avec le suicide, cela lui fait deux "tares" que la société algérienne ne pardonne pas. "En trois ans, j'ai été hospitalisée à deux reprises pour dépression nerveuse. J'ai un enfant, qui a maintenant 3 ans, et pour le nourrir, j'ai dû me prostituer, parfois pour le prix d'un sandwich, dix dinars." Un jour, elle a craqué et s'est jetée sous les roues d'une voiture. "J'étais consciente, ajoute Naziha. Je voulais mourir. C'est l'amour pour mon fils qui m'a donné le courage d'affronter la mort. Je ne voulais pas qu'il sache que je me prostituais." Et de lancer, par défi ou conviction : "La prochaine fois, je choisirai un moyen plus efficace." KHALED Larbi, psychologue à l'hôpital Mustapha Bacha, qui suit la jeune femme, retrouve chez elle des symptômes présents chez les jeunes de plus en plus nombreux à recourir au suicide : "Psychologiquement, Naziha est perturbée. Socialement et émotionnellement, elle est instable. Elle voit le danger partout. Elle n'a confiance en personne, elle ruse, elle ment. C'est un réflexe de survie. Elle retourne la violence contre son propre corps et le suicide en est la pire forme. Elle est renfermée sur elle-même et refuse toute communication. Il m'a fallu plusieurs séances de thérapie pour gagner un peu de sa confiance."

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Les femmes tentent, les hommes réussissent

Les psychologues, les éducateurs et les médecins algériens s'accordent à dire que les voyants sont au rouge, notamment en raison de la progression des tentatives de suicide surtout chez les jeunes ces dernières années. En 2005, 244 suicides et 324 tentatives ont été enregistrés en Algérie et respectivement 210 et 449 en 2004. Même si l'OMS recommande la prudence dans la comparaison de statistiques de suicide, le taux de suicide en Algérie (deux pour 100 000 habitants) reste cependant inférieur aux moyennes mondiale et africaine, qui avoisinent toutes deux six pour 100 000. Selon les statistiques de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la Gendarmerie nationale, 166 des 244 personnes qui se sont donné la mort en 2005, sont de sexe masculin. "Il apparaît clairement qu'une grande partie des femmes ne cherchent pas réellement à mettre un terme à leur vie. Durant les six premiers mois de l'année dernière, nous avons enregistré 212 tentatives de suicide dont 128 commises par des femmes", indique un officier de police. Pour Mme Lamia Hacéne, psychologue à l'hôpital Mustapha Bacha, cette attitude s'explique par une volonté plus marquée chez les femmes de lancer un appel de détresse : "Les tentatives de suicide sont un SOS pour l'entourage. C'est une façon d'attirer l'attention de la famille. " Même si ce phénomène social touche toutes les tranches d'âge de la société, la catégorie des jeunes reste la plus vulnérable ; 4 cas sur 5 recensés entre 1993 et 2005 concernent des personnes entre 18 et 40 ans. De même, d'après la Sûreté nationale, que les couches socialement défavorisées. 63 % des suicidés sont sans profession, 8 % exercent une activité libérale et 6 % sont des étudiants. Quant aux moyens utilisés pour mettre fin à leurs jours, il s'agit dans 7 cas sur 10 de la pendaison, le reste se répartissant entre empoisonnement (par produit chimique), armes blanches ou à feu, chute, noyade, etc.

Malgré l'interdit religieux...

L'Algérie est pourtant un pays à dominante musulmane, et selon les préceptes de l'islam, la vie est sacrée. "La personne qui tente de mettre un terme à sa vie n'a aucun repère ni aucune véritable formation religieuse", nous a affirmé un imam. Dalila, présentatrice d'une émission religieuse à la télévision, affirme : "C'est Allah qui donne la vie et c'est lui qui la reprend. La vie doit être perçue comme un don du ciel. Les personnes qui se donnent la mort sont certes musulmanes, mais pas croyantes. Il ne suffit pas de dire qu'on a la foi, il faut aussi la fortifier pour pouvoir faire face aux problèmes de la vie." La présentatrice estime que le suicide est devenu une mode. Une mode, peut-être, mais si ce n'est plus la religion, qu'est-ce qui donne encore espoir aux jeunes en souffrance ? Nombre de ceux qui se suicident en Algérie sont musulmans pratiquants et ne manquaient de rien, matériellement en tout cas.
"Il avait tout pour être heureux" Pour les familles des victimes, le suicide est une malédiction. Elles font difficilement leur deuil et le sentiment de culpabilité est pesant. "Je n'arrive pas à admettre et à comprendre pourquoi mon fils Brahim s'est suicidé, confie Zorha, qui habite un quartier chic d'Alger. Il était musulman pratiquant. Matériellement, il ne manquait de rien. Il avait tout pour être heureux : un appartement, une voiture et un travail stable. Aucun signe apparent n'indiquait qu'il allait se donner la mort." Zohra poursuit pourtant : "Nous sommes issus, mon mari et moi, d'une famille conservatrice patriarcale. C'est le père qui décide pour tout. J'ai été élevée de cette façon et j'ai élevé mes enfants aussi de cette manière. Est-ce que cela fait de mon mari et de moi les responsables de son acte ? Nous aimons nos enfants." Pour en finir avec la vie à 22 ans, Brahim a utilisé un moyen qui ne rate pratiquement jamais, la pendaison. Pour ses parents, c'était comme un jugement sans appel. "À chaque fois que je pense à lui, je ne peux m'empêcher de me remettre en cause. Aujourd'hui, j'ai peur qu'un de mes autres fils fasse la même chose. Et pourtant, j'ai toujours été présente pour mes enfants."

Malika Belgacem
Infosud Belgique
9 mars 2006

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