Si je suis schizophrène, suis-je vraiment vivant?

Mon être se fait violer par un extérieur qui ne respecte pas mon intimité. Sensations à l'intérieur de mon corps. Voix dans ma tête cinq heures par jour. Sentiment de persécution quand je sors dans la rue. Les bruits qui me gênent quand je suis chez moi. Et mes pensées qui tournent tout le temps dans tous les sens.

par Yann Doornbos. Né en 1976. Ancien champion d’échecs, il est aussi diplômé de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées et d’un Master à Sciences Po. Il est atteint de schizophrénie depuis bientôt neuf ans.

Je ne suis pas malade mais la maladie est partout autour de moi. Je meurs à son contact chaque jour. J'ai envie de crier mais mon cri reste dans ma gorge, inaudible. Personne ne me comprend.

Le monde est plus étrange que ce qu'on m'a appris mais le silence semble être la règle. Impossible de parler. Impossible de se faire entendre. Pourquoi les choses sont-elles ainsi?

Les animaux et les éléments comprennent le langage humain. Les êtres sentent les pensées.
Les signes sont partout. L'extraordinaire se superpose à l'ordinaire mais bizarrement la vie devient très sombre.

La brutalité insulte l'intelligence. Les diffamations vous mettent en colère. Les persécutions sont comme un concentré de haine. Mon esprit est instable et je suis mal à l'aise en public. Si les menaces ne me font pas peur, le regard des autres m'angoisse. Ambiance oppressante.

Pourquoi les êtres humains mentent-ils en permanence? Ils se cachent tout le temps comme dans une dictature. Allusions au milieu des mots. Intonations porteuses de sens. Le verbe se cache au milieu des gestes du quotidien.

Que faut-il comprendre? Que faut-il fuir? Pourquoi faut-il se cacher? Qui sont les ennemis? Qui sont les amis? Que faut-il croire? Pourquoi la haine ou l'angoisse remplace-t-elle progressivement l'amitié?

Au-delà des voix et des troubles cénesthésiques, au-delà des communications avec les animaux, la schizophrénie est une maladie de l'ambiance. Ambiance biaisée qui mord sur votre intimité.

J'ai vécu trente ans une vie normale et les ambiances ne sont plus les mêmes. Imperceptiblement le monde a changé. Les regards sont durs quand j'ai une pensée maladroite. Parfois, les gens semblent se moquer de moi. Les bruits m'agressent systématiquement.

Ce qui arrivait très rarement par le jeu du hasard se produit maintenant cent fois chaque jour. Mes émotions me déchirent de l'intérieur et ma personnalité est comme défigurée. Mes pensées ne me correspondent plus.

Si je suis schizophrène suis-je vraiment vivant?

Les psychiatres disent que la schizophrénie est une maladie du cerveau. Les psychiatres disent qu'il s'agit d'une maladie génétique. Les psychiatres disent que les schizophrènes sont rarement violents.

Le regard médical aime à infantiliser. Les médecins affirment que les voix dans la tête n'existent pas. Le syndrome de persécution est le symptôme que la personne ne sait plus faire la différence entre la réalité et le fantasme.

L'expérience du silence psychiatrique formate les patients et leur discours. Les psychiatres s'appuient sur leur crédibilité auprès des médecins et des familles pour écraser toute tentative de contredire la vérité officielle.

La schizophrénie aurait des causes biologiques. C'est à l'intérieur du corps du patient qu'il faut chercher la source des problèmes psychiques. Il n'y a rien à l'extérieur qui soit susceptible de persécuter le patient.

Un schizophrène fait pourtant l'expérience de l'indicible. Les voix pratiquent la torture mentale. Les êtres humains pratiquent en permanence des formes de torture psychologique.
Qui ose affirmer que cette souffrance est irréelle?

Sigmund Freud? Emil Kraepelin? Eugen Bleuler? Eugène Minkowski? Jacques Lacan?

Les psychiatres se cachent derrière leurs diplômes et le prestige de la psychanalyse pour refuser d'admettre que notre modèle de la réalité se fissure au contact du regard schizophrène.
Faire confiance à la personne est l'aveu d'une défaite, celle de la science.

Il faudrait dépasser les a priori pour apprendre à écouter le patient. Voir la folie comme une occasion d'apprendre une autre vérité. Mystique d'une autre réalité au-delà des souffrances. Intuition d'une terre promise après les épreuves.

Les peuples de l'antiquité comme les égyptiens ou les grecs croyaient que la folie était un contact indirect avec le monde divin. La spiritualité nous apprend de manière générale à regarder le monde différemment.

Il faut espérer que les psychiatres feront un jour preuve de curiosité pour oser affronter nos démons. Faire confiance à notre parole pour pouvoir nous aider sans être en permanence dans le déni. Suivre une voie spirituelle pour grandir ensemble.

Si je suis schizophrène suis-je vraiment vivant?

Probablement pas car je suis déjà mort dix fois au contact de l'obscénité et de la violence. Je dois rêver que je suis en train d'écrire comme un naufragé jette sans y croire une bouteille à la mer.

Si vous vous intéressez à la schizophrénie un jour, n'hésitez pas à lire les témoignages de personnes schizophrènes telles Elyn Saks, Arnhild Lauveng et Florent Babillotte. Ces livres sont pleins de vie et d'espoir.

Je vous souhaite une bonne santé.

Le Huffingtonpost.

31/12:2014