CRASC : Le suicide chez les jeunes de 15 à 25 ans dans la wilaya d'Oran

Problématique

Chaque jour les journaux nous apprennent, souvent à l'aide d'euphémismes (intoxication médicamenteuse), que des personnes, jeunes ou moins jeunes, de milieux sociaux divers, sont passés à l'acte. Un acte antisocial par excellence, puisqu'il vise à supprimer la vie. On en parle souvent avec les mêmes termes, comme si toutes les personnes faisant une tentative de suicide, passaient forcément par les mêmes tourments. L'analyse de la phase pré-suicidaire conditionne toute politique de prévention, ainsi que toute démarche thérapeutique. Il est évident que l'approche n'est nullement similaire, si l'acte intervient au cours de troubles psychopathologiques et psychiatriques, (comme dans la mélancolie, certaines formes graves de dépressions et chez certaines personnalités psychopathiques) ou si aucun trouble mental de cet ordre n'a été observé au préalable. Bien que lors du passage à l'acte, l'individu est plongé dans un état plus ou moins momentané, d'altération psychique.

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Tout semble indiqué que chez nous, le suicide et les tentatives de suicide (T.S.), sont en train de devenir un triste fait de société. Le sociologue Durkheim, à la fin du siècle dernier, a publié un ouvrage sur le suicide, qui constitue jusqu'à nos jours une source de références pour nombre de chercheurs. Il distingue trois catégories étiologiques de suicide : l'égocentrique, l'altruiste et l'anomique. Pour les deux premières formes, l'individu est intégré dans une société stable et met fin à ses jours pour des raisons tout à fait personnelles, alors que pour la troisième forme, l'anomique, son acte intervient dans une situation de désorganisation sociale. Sur le plan de la psyché individuelle, l'anomie (perturbation des normes sociales), se traduit par des souffrances et des désintégrations de la sphère affective, en relation avec la diminution de l'équilibre des valeurs. Bon nombre de cas de suicide ou de T.S. semble plutôt s'inscrire dans le cadre de l'anomie, ce qui suggère trois pistes d'investigation en rapport avec la société algérienne actuelle :

  • 1 - L'instabilité institutionnelle due aux conditions politiques et sécuritaires, soulève la question de la perte de confiance des individus et des groupes sociaux qui ont tendance à se recroqueviller sur eux-mêmes, à se fermer aux interactions sociales vécues comme dangereuses au sens de la survie tant biologique que psychologique et sociale ;
  • 2 - La dimension économique et sociale imposée par l'ouverture de l'Algérie à la mondialisation qui va progressivement fermer le marché de l'emploi tout en ouvrant des perspectives illimitées à la consommation et donc à la création de besoins sans cesse renouvelés, tout en réduisant les moyens de les réaliser. Tout cela crée une situation paradoxale : tout est consommable et il faut bien entendu avoir des moyens matériels et financiers suffisants pour permettre l'accès à cette consommation. Ce qui va tout à fait dans le sens de Durkheim, puisque cette situation paradoxale crée des besoins que l'individu ou les groupes, auront du mal à satisfaire ce qui perturbe profondément leur équilibre et ce d'autant plus que la population est jeune. La patience n'a jamais été considérée comme la première qualité de la jeunesse. Si les jeunes rêvent sans cesse de partir, c'est peut-être en partie, lié à cet âge particulier, où le jeune veut connaître le monde, le conquérir, mais bien souvent c'est en désespoir de cause que bien des jeunes mettent leur vie en péril, pour aller vers un hypothétique ailleurs, où ils pourraient avoir au moins une chambre à eux ! Beaucoup de jeunes considèrent leur vie actuelle comme une « non-vie », une « parenthèse » qui n'en finit plus. L'espoir est ténu, si ce n'est absent. Ainsi face à une situation bloquée (absence de travail, de logement, de loisirs...) et un concourt de circonstances particulières, le suicide peut paraître à ces jeunes désemparés comme une issue !
  • 3 - Enfin, le renfermement, l'insatisfaction, l'insécurité réduisent de plus en plus les relations interindividuelles. Le cloisonnement et la perte des recours traditionnels (famille élargie, voisinage), laisse les personnes seules face à leur désarroi, à leur solitude, à leur mal vie et peut donc faciliter le passage à l'acte : le suicide devenant la seule « solution ».
  • 4 - Des conditions sociales, économiques, politiques déstructurantes peuvent amener certaines personnes à passer à l'acte. Ainsi donc, l'incapacité à gérer des situations qui parfois dépassent les capacités défensives de l'individu, peut venir soit des seuils de tolérance individuels trop bas, soit de l'excès de stimuli extérieurs massifs : l'enveloppe sociale, familiale ne jouant plus son rôle de pare-excitation...

La conduite suicidaire n'est qu'un cri d'alarme et l'expression d'une demande d'aide devant une situation intérieure ou extérieure vécue comme intolérable. Ainsi, si les seuils de tolérance trop bas chez des personnalités fragiles et peu résilientes se posent, il ne s'agit pas de négliger les conditions actuelles de l'Algérie qui rendent l'adaptation problématique. Le milieu ne répond plus au minimum de sécurité(matérielle, mais aussi affective et surtout sociale) exigible pour des populations de plus en plus importantes, d'où l'augmentation du suicide. Des contradictions de plus en plus flagrantes apparaissent : une religiosité de plus en plus rigide d'un côté, des suicides, agressions de tous ordres, de l'autre. Une affirmation ostentatoire de valeur comme la « famille », la « solidarité », la « fraternité » et de l'autre des personnes âgées jetées à la rue, des enfants abandonnés, des conflits inquiétants entre membres d'une même famille, entre voisins, etc. Tout cela nécessite un triple examen du phénomène : individuel, social, culturel.
Toute conduite suicidaire, plus ou moins grave, doit faire l'objet d'un examen psychiatrique. Cet examen déterminera si l'on se trouve devant une affectation mentale indiscutable (schizophrénie, dépression, psychopathie) et là, le recours à une thérapeutique appropriée est tout indiqué et plus que nécessaire. Les conditions socio-économiques du sujet : si l'examen psychologique ne montre pas de troubles psychopathologiques majeurs, il s'agit donc de rechercher les motivations psychologiques du passage à l'acte, c'est-à-dire situer les conflits, les échecs, les chocs affectifs et les situations de tension qui ont pu survenir en milieu familial, professionnel ou scolaire. Le milieu culturel, les contradictions et déviations de ses valeurs et leur incidence sur l'équilibre individuel et groupal. La famille reste le point nodal sur lequel toute investigation doit nécessairement graviter.
C'est donc autour de ces questionnements multiples et complexes soulevés par notre problématique que va porter cette recherche :

  • Quel est le sens ou les sens du suicide chez les jeunes de quinze à vingt-six ans dans l'Algérie d'aujourd'hui ? Si le suicide et la tentative de suicide sont des messages envoyés à l'entourage et peut-être à la société quel peut être leur contenu et leurs significations ?
  • Quels sont les effets des T.S. sur les personnes concernées, sur l'entourage (parents, fratrie, etc.), sur la société tout entière ? Comment l'entourage vit cet événement tragique et comment tente-t-il d'en sortir ?

Equipe du projet :

CHEF DE PROJET : MIMOUNI- MOUTASSEM Badra, Université d'Oran Es-Sénia Faculté des Sciences Sociales.

MEMBRES DE L'EQUIPE :
DELLADJ-SEBAA Fatima-Zohra, Université d'Oran Es-Sénia Département de Psychologie ; KEBDANI Khadidja, Université d'Oran Es-Sénia. Département de Psychologie : MIMOUNI Mostéfa, Université de Mostaganem Faculté des Sciences Sociales.

DURÉE DU PROJET : du 01/01/2003 au 31/12/2004

PUBLICATIONS

MIMOUNI Badra :

  • « La psycho clinique : ou les limites d'une formation universitaire », Oran, CRASC 1998.
  • « La résilience : le réalisme de l'espérance », (ouvrage collectif), Toulouse, Editions Erès, 2001.
  • « Naissance et abandons en Algérie », Paris, Editions Karthala, 2001

DELLADJ-SEBAA Fatima-Zohra :

  • « Délinquance juvénile féminine en Algérie : entre e social et le moral ».Institut du Monde Arabe, novembre 1995, in Femmes arabo-berbéres : études et recherches en anthropologie.
  • « Femmes et hommes au Maghreb et en immigration, la frontiére des genres en questions », Paris, Editions du CNRS-Publisud, 1998, In « Etudes sociologiques et anthropologiques ».
  • « L'adolescence en Algérie entre vécu et stéréotype », Alger, juin 2000, Fondation Boucebci Recherche et culture.
  • « Adolescence et délinquance en Algérie : La délinquance juvénile féminine », Oran, Editions Dar El Gharb, Mai 2002.

MIMOUNI Mostéfa :

  • « Organisation du travail en Algérie : étude comparative entre la Twiza et l'équipe de travail en entreprise », Casablanca (Maroc), 1989, In Revue « Fahd Bnou Abdelaziz.

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