La dimension d'écoute, une urgence au cœur des drames à Constantine

Ceux qui étaient au premier plan de la prise en charge ont aussi vécu leur part de traumas

«A partir de 1993, c'était quasiment devenu notre activité quotidienne», rappelle le professeur Mostefa Hassani, chef du service des urgences chirurgicales du CHU Ben Badis de Constantine, qui évoque aujourd'hui encore cette période avec une certaine émotion dans la voix. Il s'agissait en effet de faire face à une situation peu prévisible et d'assurer la prise en charge d'«une pathologie dont on n'avait pas l'habitude, une pathologie de guerre, des plaies balistiques qu'on ne connaissait pas et qu'il a fallu apprendre, au fur et à mesure, à prendre en charge».

Cette dimension d'écoute, de prise en charge par le secteur de la santé et plus particulièrement par les services spécialisés - urgences chirurgicales, psychiatrie- des drames liés au terrorisme et à sa gestion par l'Etat demeure paradoxalement peu relevée et mise en lumière et on en imagine peu les difficultés tant professionnelles que morales. Le service des urgences chirurgicales du CHU de Constantine, opérationnel dès le début des années quatre-vingt, est de fait érigé, dès 1993, comme un pôle régional vers lequel étaient orientés les patients et les blessés des wilayas limitrophes.
Le professeur Hassani rappelle que «le pays était alors soumis à un véritable embargo, les équipements ne rentraient pas, les médicaments essentiels étaient en rupture» et, a-t-il sans doute fallu l'abnégation de l'encadrement et du personnel paramédical pour répondre à une situation à tous points inédite et qui pouvait aussi avoir des effets sur les conduites des uns et des autres. Si elle est ainsi rapportée aujourd'hui comme une anecdote, telle une situation vécue dans les services et qui avait vu l'hospitalisation dans une même salle de soins intensifs d'éléments des services de sécurité et de terroristes, elle a mis les nerfs à rude épreuve. «On s'était, une semaine durant, efforcé de protéger les identités des patients pour prévenir tout dérapage.»
Au-delà de la disponibilité des moyens, sur le strict plan médical, il était-il aussi évident d'échapper au climat général du pays, aux passions partisanes et comment en particulier les élites du corps médical algérien, touchés dans leur chair par le terrorisme, allaient-elles se comporter au quotidien ? «Au niveau du service, en tant que responsable, nous avons essayé de faire passer la consigne suivante : faire notre devoir, sans tenir compte de la couleur politique des uns et des autres», rappelle à ce sujet le Pr Hassani qui confesse avoir «personnellement vécu la période très douloureusement». Menaces, peurs des représailles auront ainsi marqué profondément les conditions de vie et de travail notamment dans ce secteur de l'urgentisme même si Constantine n'aura pas connu l'effroi des bombes et des voitures piégées comme la capitale. Il y a eu énormément de morts, de blessés, même si les chiffres demeurent difficiles à établir. Le pic fut atteint entre 1993 et 1997 et même si le corps médical s'est assigné de prendre en charge les traumas, ce fut «une épreuve pénible», témoigne le Pr Hassani qui assure qu'elle aura changé «sa perception de notre profession».

Meriem Merdaci
La Tribune
16 février 2005