France. Le troisième plan autisme : une menace pour la pédopsychiatrie

Ayant été auditionné le 16 mai 2013 par la Mission d'information sur la Santé Mentale créée en 2012 au sein de la Commission des Affaires Sociales de l'Assemblée Nationale sur l'avenir de la Psychiatrie et de la Pédopsychiatrie, j'ai eu l'occasion de dire, dans le cadre de cette audition, à quel point, avec une immense majorité de mes collègues pédopsychiatres, nous avons été scandalisés par le 3ème plan autisme qui vient d'être publié sous la direction de Madame Marie-Arlette Carlotti.

Je dirige le service de Pédopsychiatrie de l'Hôpital Necker-Enfants Malades et à ce titre, je suis responsable de l'un des six centres d'évaluation et de diagnostic de l'autisme et des troubles envahissants du développement, rattachés au C.R.A.I.F (Centre de Ressources Autisme Ile de France).

Nous espérions beaucoup du changement du gouvernement pour pouvoir revenir à une position raisonnable à propos de cette pathologie extrêmement douloureuse. L'objectif principal du livre que je viens de publier aux éditions Odile Jacob (Paris 2013) sous le titre : "Mon combat pour les enfants autistes" était précisément d'essayer d'apaiser les conflits, et de plaider pour une prise en charge multidimensionnelle et intégrative des enfants autistes, du fait même de l'origine polyfactorielle de cette pathologie. J'ai eu l'occasion d'en parler successivement avec Madame Aurore Lambert, avec le Pr Olivier Lyon-Caen, avec Madame Cécile Courreges, avec Monsieur Axel Cavaleri, et enfin avec Madame Marie Derain la défenseure des enfants. J'ai trouvé une écoute très attentive chez chacun de ces interlocuteurs qui m'avaient tous assuré qu'il n'était plus question pour l'Etat de s'engager dans des polémiques et des clivages interprofessionnels qui ne sont finalement que le fruit de certains lobbyings politiques, commerciaux et journalistiques. Nous avions donc beaucoup d'espoir.

Or la lecture de ce 3ème plan nous montre qu'il est en quelque sorte plus dangereux encore que les précédents. Ceci représente vraiment pour nous une très grave déception, mais les enjeux vont, me semble-t-il, bien au-delà de l'autisme. Il y a d'abord la liberté de choix des parents qui n'est plus respectée. Quelle autre discipline médicale accepterait de voir l'Etat lui dicter ses contenus d'action ? Peut-on vraiment imaginer que les cardiologues toléreraient que l'on vienne choisir à leur place le médicament de l'infarctus du myocarde ? Quand les C.R.A. (Centre de Ressources Autisme) ont été créés par Madame la Ministre Simone VEIL, leurs missions avaient été très sagement définies. Il s'agissait de veiller à ce que chaque région du pays dispose d'équipements suffisants pour les enfants autistes, sur les trois registres du soin de l'éducatif et du rééducatif. Il s'agissait donc, et c'est me semble-t-il la mission principale de l'Etat dans le champ de la médecine, de veiller à la bonne adéquation des contenants d'action, mais sans s'immiscer dans la question des contenus d'action qui ne peut être qu'une affaire de spécialistes.

 LA LIBERTÉ DE CHOIX DES PARENTS LIMITÉE

Aujourd'hui, nous allons vers une impasse, car plus l'Etat se mêle de dicter aux professionnels leurs contenus d'action, plus la liberté de choix des parents se trouve rabotée. Même les recommandations de la H.A.S. (Haute Autorité de Santé) qui ont suscité tant de réactions passionnelles à propos de la prise en charge des enfants autistes, insistaient sur une prise en charge intégrée.

Le 3ème plan fait l'apologie du tout éducatif et ceci est parfaitement inadmissible. Nous aboutissons ainsi à un paradoxe car, alors que les parents d'enfants autistes plaident activement, et à juste titre, pour que leur enfant soit considéré comme un citoyen à part entière ayant notamment le droit d'être scolarisé, ce 3ème plan va pourtant aboutir à en faire un citoyen privé de sa liberté d'accès à différents outils thérapeutiques disponibles pour tout le reste de la population (je pense évidemment ici, en particulier, aux soins psychothérapeutiques). Mais à nouveau, j'insiste sur la liberté de choix des parents. De quel droit leur interdire la possibilité de choisir pour leur enfant, une aide multidimensionnelle incluant une dimension psychothérapeutique ?

Par ailleurs, nous sommes nombreux à craindre la mort programmée en quelque sorte de la Pédopsychiatrie. Celle-ci se fonde en effet sur le vif de la rencontre clinique, et chaque rencontre doit pouvoir déboucher sur des décisions thérapeutiques adaptées et spécifiques de chaque situation. Quand l'Etat nous aura dicté nos conduites à tenir en matière d'autisme, il continuera probablement à vouloir le faire en matière d'hyperactivité, de troubles obsessivo-compulsifs... et cela sera sans fin ! Que restera t-il de la créativité médicale ? Que nous restera t-il à enseigner à nos étudiants ! Comment pourrons-nous susciter des vocations et des enthousiasmes professionnels quand l'acte médical pourra être remplacé par une simple application de protocoles informatisés ?

Au-delà de l'autisme, cette dérive de la pensée politique qui plie l'échine devant certaines positions associatives intransigeantes, me semble faire le lit d'un fonctionnement déshumanisé et pré-totalitaire dans le champ de la médecine.  Au-delà de l'autisme, de la pédopsychiatrie, et de la psychanalyse, c'est donc aujourd'hui le soin psychique et l'ensemble des sciences humaines qui se trouvent ainsi gravement menacés, en même temps que la liberté de choix des parents se voit subrepticement amputée.

Le Monde.fr | 27.06.2013