6es journées de psychiatrie et de médecine légale du CHU de Blida

L’usage abusif d’un certificat médical induit fatalement des drames personnels et des injustices. Les Algériens, selon les experts, en font de plus en plus de recours pour gagner des affaires de divorce, contester un héritage ou nuire à un tiers. Les médecins sont de plus en plus poursuivis en justice pour des certificats médicaux de complaisance.


Par : Souhila Hammadi

C’est peut-être pour la première fois en Algérie que la responsabilité pénale des praticiens, délivrant des certificats médicaux, est évoquée dans une rencontre publique. C’était jeudi et vendredi derniers, lors des 6es journées “Khaled- Benmiloud” de psychiatrie et de médecine légale au CHU Frantz-Fanon de Blida.
Le Pr Ridouh, chef du service  psychiatrie et de lutte contre la toxicomanie à l’hôpital de la ville des Roses (ex-Joinville), et son équipe ont engagé le débat sur un geste considéré jusqu’alors comme banal, mais dont les implications s’avèrent souvent porteuses de grands risques et pour le médecin et pour le patient. “Le choix du thème de cette rencontre s’explique par une réalité vécue par le médecin traitant qui, en délivrant des certificats médicaux à des patients souffrant de troubles mentaux, fait face à de sérieux problèmes avec leurs familles. Ces problèmes sont amplifiés dans les cas de divorce, héritage et adoption, jusqu'à atteindre les dédales de la justice”, a précisé Pr Bachir Ridouh. “Le problème  posé actuellement pour le médecin traitant est essentiellement lié à l’absence  de textes de loi pour sa protection d’où tous ces problèmes rencontrés sur le terrain, et qui ne cessent de prendre de l’ampleur”, a soutenu le docteur Hamid Oukali. Il a cité le cas d’un praticien qui a reçu en consultation un confrère souffrant d’une dépression. Pensant rendre service à ce patient, proche de lui par la profession, il lui délivre un certificat de mise en invalidité de deuxième catégorie. Quelques mois plus tard, il reçoit un courrier de la CNAS lui indiquant “la catégorie octroyée ne correspondait pas au diagnostic retenu”.
Le médecin rectifie alors le tir en certifiant l’invalidité de première catégorie. Pour cet acte, il est inculpé pour faux et usage de faux. Il aura alors connu les affres d’une procédure judiciaire longue et déprimante avant d’être acquitté. Un autre médecin subit aussi la contrainte de la justice pour ne pas avoir vérifié l’identité de son patient avant de lui délivrer un certificat médical. Il est condamné à un an de prison avec sursis assortie d’une amende de 10 000 DA. Il obtient finalement l’acquittement dans le procès en appel, en prouvant que l’éthique et la déontologie ne lui permettaient pas d’exiger du patient de décliner son identité. “Devrons-nous rejeter les textes du code de déontologie et opter pour l’obligation de la présentation des papiers d’identité pour chaque personne qui consulte ? Ne faut-il pas encore être plus prudent de demander une copie légalisée de la pièce d’identité du patient qui sera fort utilement conservée dans son dossier ?” s’est interrogé Dr Oukali. Dr Ahcène Djaballah a abordé la problématique de l’usage abusif du certificat médical, notamment dans les affaires familiales (divorce, adoption, garde des enfants, donation...) “Le certificat, établi en règle générale pour protéger la santé et/ou les biens des plus faibles, est détourné de l’usage pour lequel il était prévu par ceux qui jouissent des moyens (temps, énergie, argent, relations…) de l’obtenir, en profitant de l’inexpérience, l’incompétence, le manque de vigilance, voire même le manquement à l’éthique professionnelle de celui qui le délivre», a regretté la psychiatre.
D’autres intervenants se sont attardés sur les cas, de plus en plus nombreux, où un certificat médical ou une expertise psychiatrique est demandée. À ce titre, l’on a cité le divorce où l’institution judiciaire s’enquiert de la capacité du conjoint (généralement le mari puisque cette pièce est utile pour la demande introduite par l’épouse) “à accomplir ou non le but du mariage ?”  C’est-à-dire souffre-t-il de folie, de lèpre, du vitiligo, de l’incontinence fécale, de mutilations sexuelles ou d’impuissance.
La responsabilité pénale de l’aliéné mental, qui se rend coupable de violences physiques : la paranoïa, le vide juridique en matière de ligature de trompes ou castration et avortement, prise en charge des malades mentaux sont autant de sujets qui ont été présentés lors des journées psychiatriques du CHU Blida. “Nous recommandons la mise en place de la relation juridique devant exister entre les éléments agissant dans les dispositions pénales relatives aux examens de tests psychologiques”, a affirmé le professeur Ridouh, lequel plaide pour une révision des lois algériennes pauvres en la matière.

Liberté 1er  octobre 2002